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D’Étrange Grande et de Harry Potter

La plupart des billets que je rédige sont de « simples » chroniques d’œuvres. Si ces œuvres appartiennent aux genres de l’imaginaire, je vais venir les crossposter ici, sur la Tribune, d’un simple copier/coller.
Mon article aujourd’hui est un peu différent car, en tant que collectif promouvant l’imaginaire, nous sommes toujours très attentives à nos prises de parole, surtout quand il s’agit a priori du travail d’une petite équipe de bénévoles. Mais être bénévole n’est pas un laisser-passer…
Alors ce billet est bien sûr le mien, en tant que passionné·e d’imaginaire, mais aussi celui de président·e de notre collectif.
On ne peut pas être engagées par intermittence, quand ça ne nous perturbe pas trop.

Mon billet sera sans doute un peu long et ça ne m’arrange pas du tout.
Poster en réaction sur un réseau social, ça prend quand même du temps, mais ça peut se faire pendant une pause ou…
Rédiger un article / billet, ben… si on ne veut pas faire à l’arrache, il faut poser le contexte, donner quelques liens… et, du coup, forcément, ça veut dire qu’il y a un investissement en temps… qui va se répercuter sur mon lecteurice : plus je prends du temps, plus vous en avez à lire… mais le sujet est important (au sens que c’est bien de se poser).

Le festival Étrange Grande
En voulant le décrire un peu, je découvre qu’il a une page Wikipédia (depuis le mois de juillet). Ça me semble un peu étrange (Nice Fictions n’en a pas, par exemple), mais, du coup, je vous mets le lien pour plus d’infos.
L’édition de cette année est ce week-end.

Ce n’est pas un secret :
en tant qu’auteurice et amateurice d’imaginaire et en tant que président·e des Vagabonds du Rêve x Nice Fictions, je soutiens forcément l’existence des festivals du genre.
Ils apportent une réelle plus-value à notre milieu, notamment à sa branche littéraire, et je pense que nous n’en avons hélas pas assez en France.
J’ai moi-même dirigé les 10 éditions de Nice Fictions : je pose cette info ici dans le sens que
non seulement j’ai un a priori favorable envers toute équipe de bénévoles qui se lance dans l’aventure,
mais j’ai tout à fait idée des contraintes et du boulot que ça représente.

Le 8 septembre, l’auteurice CM Deiana annonçait sur sa page Facebook pourquoi iel annulait sa venue à Étrange Grande : le festival a choisi de programmer une exposition Harry Potter.
Pour vraiment les plus distraits d’entre vous — je le mentionnais déjà ici –, quel est le souci avec Harry Potter ?
Cette œuvre a clairement marqué une génération (on ne peut pas nier son influence), mais son autrice, Rowling, a montré ses dernières années une haine féroce contre les personnes trans, utilisant son argent et son influence pour nuire à des gens innocents, déjà souvent minorisés.

Tous les goûts sont dans la nature.
On peut entendre que des gens mangent de la pizza à l’ananas (du moment qu’ils ne la partagent pas avec nous), mais on ne peut pas accepter l’inacceptable (la haine, le harcèlement…).
— Mais comment on fait si Harry Potter est un élément important de notre enfance ?
— Comme avec des tas d’autres choses qui nous ont paru cools et qui se sont avérées problématiques, hein…
On peut garder ses exemplaires du roman, on peut les faire circuler d’occasion, on peut les pirater… mais continuer d’alimenter une sorte de sacralisation de l’œuvre, quand on sait que ça nourrit directement l’influence d’une haineuse, ça se justifierait comment ?

Bref, j’ai partagé la publi de CM Deiana sur le même réseau (FB) dans la foulée.
Le festival a répondu (dans les com de ma publi) et CM Deiana et Jeanne-A Debats sont intervenu·es, en pointant ce qui n’allait pas.

On est le 8 septembre : la date est importante.
Je crois que je l’ai déjà mentionné à plusieurs reprises sur ce blog (mais j’ai oublié), je n’ai pas de mémoire. Je le dis car c’est la raison même (en partie) de l’existence de ce blog : je chronique ce que je vois et lis pour m’en souvenir.
Donc, juste après, y’avait le #10septembre et j’ai oublié Étrange Grande.

Hier, le festival a publié un communiqué et j’y ai vu tellement de red flags que je m’en suis à nouveau souvenu.
A noter qu’une boutique de produits officiels sera présente donc il y aura bien un enrichissement direct de Rowling.
Si vous n’avez pas les moyens de voir les red flags (et il n’y a jamais aucune honte à manquer d’outils dans certains domaines !), Jeanne-A Debats a fait un décryptage ce matin.

Pause
J’écris ce billet avec l’intention de le poster également sur la #TribuneVdR et que les Vagabonds du Rêve s’en fassent le relais.
Ça n’est pas une démarche anodine.
Quand tu dénonces une grosse entreprise problématique, tu (je ?) n’as aucun état d’âme.
Quand j’ai pris la parole pendant l’affaire Marsan ou l’affaire des Imaginales, je ne me disais pas que j’allais taper sur une « petite équipe » : Marsan était le propriétaire d’une grosse boite, les Imaginales sont organisées par une mairie…
Étrange Grande semble être organisé par une petite équipe de passionné·es, les festivals sont importants et on peut avoir un premier réflexe de se dire qu’il ne faut pas s’en prendre aux gens qui sont « avec nous ».
C’est un piège de la pensée : si ton succès éventuel est plus important que la situation de personnes minorisées, on n’est pas ensemble.
Si quelque chose fait du mal, et le festival ne peut pas l’ignorer puisqu’il a été interpellé par des personnes concerné·es, alors il fait partie du problème.
Parce que, en ce moment, pour une partie de ses défenseur·ses, la position est « mais ce sont de gentils bénévoles » comme si c’était une sorte de laisser-passer pour tout ce qui peut être problématique.

— Il y a d’autres festivals qui se servent d’Harry Potter.
— OK
Mais on ne parle pas d’eux, ici, on parle de toi. Ta responsabilité ne disparait pas parce que d’autres font aussi des choses pas OK du tout.

— Mais je ne savais pas et, en vrai, suis pas sûr de comprendre pourquoi il faut ne pas parler de cette œuvre…
— Si t’as des doutes, si tu ne saisis pas tous les enjeux… ça arrive, on ne nait pas avec tout le savoir du monde.
A partir du moment où les gens concernés te disent que ça les blesse, c’est déjà une info suffisante.
— Hein ? On doit arrêter tout ce qui blesse quelqu’un ?
— Ben… oui. C’est quoi qui te tracasse ?
Quand ça blesse réellement quelqu’un, pas quand un hater te reproche de l’empêcher de répandre sa haine, qu’on soit raccord.

— C’est super compliqué d’annuler une expo qui était prévue.
— Alors… non.
Quand on programme un évènement / festival, la première compétence, c’est la réaction à l’imprévisible.
Tu vas avoir des invité·es qui annulent ou ratent leur train, un plafond qui s’effondre là où une expo était prévue, ton site web qui part en carafe…
Annuler et/ou rebondir, c’est dans le pack de l’oganisateurice, c’est pas un souci ou tu n’es pas fait pour ce job.

Si une majorité d’invité·es prenait le temps de dire que mettre en avant Harry Potter, et donc Rowling, ce n’est pas OK, ça ferait forcément bouger les choses, même si l’idéal serait que ça vienne de l’organisation directement.
Alors je l’écris ici : auteurice qui ne manifeste pas ton soutien aux personnes trans blessées par ce choix de programmation, je ne suis pas avec toi. Si ton art passe avant des gens, je ne veux pas connaitre et aider ton travail.
— Mais j’ai payé le train et l’hôtel et j’ai même fait des réimpressions pour l’occasion. J’ai peu de moyens financiers, je crains trop de perdre…
— OK
Je ne peux pas écrire hier qu’on doit s’entraider et te jeter la pierre aujourd’hui.
Tu peux communiquer sur tes réseaux que tu y vas parce que tu as déjà tout payé, mais que tu regrettes le choix de la programmation, tu peux dire à l’orga ce que tu penses et, sur place, tu peux mettre un affichage disant ce que tu penses.
— Du coup, tu m’ordonnes ce que je dois faire ?
— Non.
J’écris ce que je pense. A toi de faire tes choix en connaissance de cause. Juste, que personne ne plaide l’ignorance.
Si tu sais ce qui se passe et que tu choisis en connaissance de cause une position
« oui, mais non, ils sont gentils dans l’orga, c’est pas si grave que ça de promouvoir l’œuvre d’une personne agressivement transphobe »,
tu as le droit, hein… mais tu ne pourras pas ensuite expliquer que tu es engagé·e. Parce que s’engager, ce n’est pas un peu de temps en temps, mais pas trop parce que bon, faudrait pas que ce te coûte personnellement.

Ce billet est également en ligne sur mon blog.

Songe au bord du fleuve

Ecrivain·e, Poète·sse, Blogueur·se

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