Éclats de Rêves n°9
C’est toujours avec un soupçon d’excitation qu’on accueille la sortie de ce fanzine remarquable sur deux aspects : l’alternance numéro thématique / numéro athématique et la grande diversité de ton et de concepts des textes sélectionnés qui lui a parfois valu des sommaires aussi barrés qu’expérimentaux mais aussi des opus remarquables. Malgré (ou peut-être à cause de) cette tendance à jongler avec le pire et le meilleur, il y a une qualité qu’on ne peut nier à EdR, c’est celle de parvenir à désarçonner ses lecteurs.
La couverture de Fabien Fernandez, et son inquiétante jungle aux verts glauques dans laquelle peinent deux conquistadors tendus, nous indique d’emblée que les bois dans lesquels les auteurs nous convient n’ont rien d’accueillant. La promenade promet d’être moins une balade contemplative qu’une excursion éprouvante.
Les illustrations intérieures, signées par Chloé Bonnet, Vivien Chauvet, Naïve et Magali Villeneuve, aussi sobres que réussies, accompagnent judicieusement les six textes. À noter l’étonnante et efficace versatilité de Chloé Bonnet, capable de passer de l’esquisse façon ombre chinoise au crayonné naturaliste en transitant par le dessin typé bande dessinée.
Voyons maintenant si les auteurs font aussi bien que leurs illustrateurs.
Sur la route, à travers bois, de Magali Lefebvre
Pour gagner quelques jours de trajet, une future mère, Eileen, et son beau-frère empruntent la forêt qui sépare la ville de Kailon de celle d’Asterey. Mais gare aux arbres chantants des légendes qui pourraient en vouloir à une femme enceinte. Entre le conte de fées et la dark fantasy, cette histoire vaut plus pour son ambiance inquiétante et son style limpide que pour sa trame sans réelle surprise.
L’escapade, de Patrick Duclos
Des citadins du futurs qui décident sur un coup de tête de se promener dans de vrais bois. Surtout ne pas oublier les masques respirateurs et la tenue anti-radiations. Un peu d’ironie teintée de mélancolie dans ce monde de brutes. Vous ne trouverez ni pertinence scientifique ni message fracassant dans ce récit, simplement la démonstration qu’on s’accommode de tout, même du pire.
Les gardiens, de François Vanglabeke
Claudius, un légionnaire romain, s’égare dans une de ces forêts gauloises où la barbarie païenne et les vieilles magies ont la vie dure. Encore une fois, c’est le côté ténébreux et impitoyable de la nature qui est en exergue. Le récit a le mérite de mettre un peu d’Histoire dans sa fantasy pour se donner davantage de réalisme et de références concrètes. À part ça, on reste dans le domaine de la linéarité et du prévisible.
Chasse à l’homme ! d’ Olivier Boile
Des trolls partent bouter le paladin qui empiète sur leur territoire. De la fantasy pur jus avec pour unique originalité son traitement anti-héroïque – comprenez que les héros sont les créatures servant habituellement de chair à canon. Le côté « forêt » est ici anecdotique, le récit pouvant tout aussi bien se passer dans une plaine ou dans un marécage sans que cela change grand-chose. Ça se laisse lire sans déplaisir mais sans étonnement non plus.
La bête qui n’existe pas, de Thierry Rollet
Le légendaire Dahut des Vosges, vous en avez entendu parler ? Le jeune narrateur de ce récit aimerait le chasser en compagnie du père Viaud, ce vieux bûcheron qui connaît la forêt comme sa poche. Un récit avec de vrais morceaux de patois dedans et dont le style truculent et agréable en bouche parvient presque à masquer la relative platitude de la trame et de la révélation finale.
Dunsinane, de Marianne Lesage
À l’initiative de son ami, une jeune femme retourne à Dunsinane, une maison environnée d’une épaisse forêt, siège des plus grandes terreurs de son enfance. Marianne Lesage nous sert une nouvelle à la fois toute en retenue et sous-entendus dans le fond et cinglante dans la forme, qui est de plus merveilleusement accompagnée par le portrait en crayonné signé Magali Villeneuve. Pas de fantasy ni de légendes forestières, ici. Juste du fantastique léger pour saupoudrer une exploration délicieusement psychologique.
J’avoue avoir été surpris par ce numéro d’Éclats de Rêves. Surpris de ne pas avoir été surpris. Les textes, pour carrés et peaufinés qu’ils soient, manquent à mes yeux de cette fraîcheur et de ce piquant qui caractérisaient une grande partie des sélections précédentes. En dehors de la nouvelle très réussie de Marianne Lesage, le sommaire n’offre que peu de prises au lecteur avide d’originalité et de spontanéité. La traversée des bois se fait selon un chemin soigneusement balisé, là où on pouvait s’attendre à se perdre au milieu d’un foisonnement d’idées sauvages. En bref, ce n’est pas désagréable à lire, loin de là, mais pratiquement aucun texte ne se révèle assez marquant pour survivre longtemps dans l’esprit du lecteur.
Disons que cet opus se révèle être un bel éclairage sur le professionnalisme des correcteurs (il n’y a rien qui dépasse) mais souhaitons tout de même que le prochain renoue davantage avec la prise de risque.
— Neocrate
Trimestriel
Pagination variable (40 pour ce numéro)
3,50 € l’exemplaire (+1 € de frais de port)
Abonnement 1 an (4 numéro) : 14 € (frais de port inclus)
Commandes à adresser par mail (voir adresse sur site)
Site : http://eclats-de-reves.blogspot.com/