« Jack Barron et l’éternité » de Norman Spinrad
Jeune, pauvre et révolutionnaire, cela va bien ensemble… pour un temps. C’est pourquoi Jack Barron a laissé ses convictions et ses déceptions au vestiaire. Certains de ses amis en ont fait de même, mais pas tous, et pas Sara en particulier. Pourtant la jeune femme, son véritable amour, le hante toujours mais pas au point de renoncer à la carrière qu’il s’est choisie, car Jack Barron est présentateur de télé. Riche, arrogant, cynique et vaniteux. Un présentateur tel qu’il vous suffit de tourner le bouton de la télé pour en voir tous les jours. « LE » présentateur dont l’émission, Bug Jack Barron, bat les records d’audience. Facile de passer pour un justicier quand il s’agit de malmener le responsable d’un tort quelconque… mais doucement quand même. Ça, c’est le vrai pouvoir : l’argent, les femmes, un million de téléspectateurs assidus. Le « vrai » pouvoir ? Mais celui de la politique ? Celui de la finance ?
Or, il se trouve qu’un téléspectateur pose un jour une question sur un point qui pourrait bien toucher aux trois. La discrimination à laquelle se heurteraient les noirs, même suffisamment fortunés, pour bénéficier des services de la Fondation pour l’Immortalité Humaine. Ceci alors même qu’une loi doit passer devant le Congrès et que se heurtent les partisans de cette fondation privée et ceux qui désirent la voir publique.
Il va de soi que Bénédict Howards, son richissime fondateur ne l’entend pas ainsi. Et qu’il a su se servir de son argent pour acheter suffisamment de politiques, le sénateur Ted Hennering entre autres. Aussi, ne compte-t-il pas voir Jack Barron s’immiscer dans ses affaires quand l’imminence des élections présidentielles lui laisse espérer un président, un fantoche, entièrement dévoué à sa cause.
Jack Barron lui-même, s’il aime mordiller, ne souhaite certainement pas se mettre à dos le milliardaire mais l’histoire va en décider autrement. Hennering va mourir d’un accident que sa veuve impute à Howards et celui-ci va vouloir mettre dans sa poche le présentateur-vedette qui, au fond, ne demandera pas mieux. Parce que c’est bien la fierté et qu’on peut ne pas se soucier vraiment d’être cryogénisé ou non quand on est très jeune mais ce que propose Howards va bien au-delà de cette immortalité virtuelle.
Une version particulière de Faust, en somme. Tout homme est achetable si l’on y met le prix mais, parfois, même l’homme le plus achetable trouve ses limites.
L’éternité. Le rachat. Un roman intéressant dans cette étude du pouvoir sous ses diverses formes. Argent, presse, chantage affectif. Un très bon roman donc, mais… je n’ai jamais apprécié le genre haché et cru prétendument « écrit avec les tripes », trouvant trop difficile de dissocier le contenant du contenu, cependant je l’apprécie moins encore quand il est si visiblement affecté. C’est bien dommage car le fond en vaut la peine. Pouvoir, argent, corruption et leur rapport au politique. Une virulente critique de la société des États-Unis, qui ont heureusement évolué depuis, du moins sur le plan racial (le roman date de 1969), mais qui paraît toujours d’actualité et non pour les seuls U.S.A.
Éditions J’Ai lu
381 pages – 7,60 €
ISBN : 978-2-290-02836-0