« Khanaor » de Francis Berthelot
Le roman Khanaor relève clairement de la fantasy. De l’excellente fantasy qui a ceci de particulier, d’être la reédition, en un seul tome, d’un roman paru en 1983, c’est-à-dire à une époque où la fantasy faisait une timide percée en France généralement par le biais de traductions d’écrivains anglo-saxons. Il n’y a, maintenant, que l’embarras du choix, même si les auteurs francophones ne sont pas des plus nombreux mais la qualité n’a pas forcément suivi la quantité.
Ici, on découvre une histoire réellement originale et, ce qui ne gâte rien, une écriture impeccable. À partir d’un socle extrêmement traditionnel – des personnages d’horizons divers vont se rejoindre pour délivrer leur monde d’une effroyable menace – l’auteur cherche à définir ceux-ci par leur « vécu » interne.
Dès le départ, il situe Khanaor dans notre monde et en notre temps : 584 ap. J.C., une vaste île de l’Océan Atlantique suffisamment éloignée du continent pour vivre en autarcie. Trois contrées, dont deux royaumes, en entourant une quatrième faite de montagnes, Espréol. Et chacune vivant des relations commerciales tissées entre elles. Mais que vienne une pénurie et tout peut changer. C’est ce qui va pousser Mervine, reine d’Aquimeur, à rechercher l’aide de Leuthiag, roi de Goldèbe. Il ne peut plus honorer la dette de son royaume, il pourrait du moins lui apporter le soutien de ses armées pour conquérir la riche Ardamance si les barons qui la dirigent refusent de lui sacrifier des magiciens.
Et comment ne pas comprendre Mervine qui, en dépit de toute sa magie, ne peut sauver son pays n’étant entourée que de conseillers incapables et d’un peuple pusillanime ? Et comment ne pas être horrifié et apitoyé que la noblesse des buts d’une si puissante reine l’ait conduite à des moyens si malfaisants qu’elle ait sombré dans la folie. Il y a là, sans y toucher, une jolie image de la paranoïa.
Où s’avance la reine noire, la reine blanche se tient sur son chemin. Même s’il ne s’agit que d’une enfant, Sigrid, aux pouvoirs encore bien menus, qui cherche à rejoindre sa grand’mère, Norenn, une sorcière de village promise au bûcher pour s’être opposée au recrutement de ses voisins.
Kurt, le charmeur de plantes, qui n’a pas osé défendre la vieille femme, finira par l’aider, après s’être empêtré dans un amour sans espoir envers Raïleh, ennemi de son pays, doublé d’un traître et d’un voyou. Un personnage lui-même riche en contradictions, d’autant vaniteux et cruel qu’il s’est forgé une armure trop rigide pour se reconnaître à l’intérieur, incapable de nouer d’autre relation que sado-masochiste.
À ceux-ci s’ajouteront Craès, l’ermite, et Judith, magicienne d’Ardamance. Tous deux impuissants en dépit de leur magie, le premier parce qu’il refuse de se mêler au sort du monde, la seconde parce qu’elle ne se remet pas d’un veuvage qui lui a ôté toute raison de vivre. Ces deux-là seront le « peu de douceur dans un monde de brutes » avec une simplicité qui rejoindra par certains côtés celle de Sigrid mais sans cette certitude toute manichéenne de l’enfance. Il est vrai que l’enfance ne dure pas.
Il y aura aussi Telcen, le pauvre enfant très aimé de Mervine, maîtresse des eaux et des miroirs, et enfin l’Anserf, cette âme de noyé qu’elle asservira à des corps différents et qui aura tout oublié de ses vies passées.
Toute une galerie de personnages attachants parce que fouillés très profondément dans leurs faiblesses et leurs vertus. Et, en filigrane mais nettement perceptible, un message de tolérance et, aussi, de respect de l’environnement qui va désormais de soi même si la pratique ne suit guère.
De la fantasy, mais pas seulement. À conseiller donc, aux lecteurs épris d’évasion, et aux autres.
Éditions Folio SF
474 pages – 7,70 €
ISBN : 978-2-07-039929-1