« La Flotte Perdue – Par-delà la frontière : Intrépide » de John Campbell
Le capitaine John Geary, dit ‘Black Jack’, a réussi l’impossible. Revenu d’entre les morts après une hibernation d’un siècle et auréolé de la légende que la propagande de l’Alliance a mise en place pour inspirer ses compatriotes, il est parvenu à prendre la tête de la flotte perdue en territoire ennemi, à motiver et moraliser ses troupes avec sa force de volonté et son éthique d’officier du passé, à vaincre tous ses adversaires Syndics malgré leur écrasante supériorité numérique, à ramener chez eux la majorité de ses vaisseaux, à obtenir la reddition du gouvernement central Syndic et à mettre à jour la conspiration extra-terrestre responsable du conflit. Revers de la médaille : ces exploits ajoutés au mythe auquel il est associé font que les gouvernants de l’Alliance, tels le Dr Frankenstein avec son monstre, se retrouvent totalement dépassés par la créature qu’ils ont contribué à créer. D’autant plus que nombreux sont ceux à voir Geary à la tête de l’Alliance, en lieu et place de dirigeants n’ayant guère brillé durant cette guerre de cent ans.
Avec de telles prémisses, il était presque aisé de concevoir une suite à la saga de six tomes de la Flotte Perdue. Ce premier volume des nouvelles aventures de John Geary, fraîchement promu amiral et marié au capitaine Tanya Desjani avec laquelle il entretenait jusqu’ici une relation platonique, nous met rapidement dans le bain : Geary est devenu une épine dans le pied du gouvernement. Quoi de plus naturel donc pour ce dernier que de renvoyer le héros avec sa flotte, catapultée pour l’occasion « Première flotte de l’Alliance », au-delà de la frontière des mondes humains pour tenter d’en apprendre plus sur ces mystérieux extra-terrestres baptisés « Énigmas » par les Syndics, voire de négocier avec eux un traité de paix.
L’unique mois de repos que Geary va accorder à ses hommes n’en sera pas vraiment un à cause de moult tracasseries administratives visant à amoindrir la capacité opérationnelle de sa flotte et c’est presque avec soulagement qu’il va repartir au front. Contrairement à sa confrontation avec les Syndics, cependant, il ne sait pas du tout à quoi s’attendre avec ce nouveau type d’adversaire.
Revoilà donc John Geary parti pour un nouveau cycle d’aventures et de batailles spatiales. Au niveau casting, on prend les mêmes et on recommence : Desjani reste la capitaine du vaisseau amiral « Indomptable » et tous les officiers (Ruellos, Badaya, Tulev…) ayant survécu aux précédents ouvrages rempilent. Même la retorse politicienne Victoria Rione, ayant perdu entre temps son mandat de sénatrice, est de retour en tant qu’émissaire du gouvernement de l’Alliance.
Mêmes personnages, même formule. Se dirige-t-on vers une resucée de la précédente saga qui elle-même souffrait de tourner quelque peu en rond ? Oui et non. Le cœur du récit reste la gestion de la flotte par Geary en territoire ennemi. Et l’un des principaux ressorts dramatiques étant constitué de batailles épiques et tactiques, on se doute bien que la mission prétendument pacifique restera à l’état de vœux pieu. Non, la nouveauté est plutôt à chercher du côté de ces extra-terrestres qui se dérobent à la vue de la flotte, préférant sacrifier leurs vaisseaux que de laisser derrière eux le moindre indice sur eux, et dont l’observation et la découverte par petites touches laborieuses ajoutent un suspense et un exotisme pratiquement absents des tomes précédents. Même si le rapprochement du comportement des Énigmas avec les soldats japonais de la seconde guerre mondiale (esprit de sacrifice, obsession de ne laisser aucune information à l’adversaire, primauté du groupe sur l’individu) est rapide à faire, à l’instar du précédent parallèle entre gouvernement Syndic et Russie communiste, on note un véritable effort de la part de l’auteur de diversifier son propos et de nous faire appréhender une mentalité et un système de pensée totalement étrangers.
Ouvrage de mise en place de l’intrigue, ce premier tome de Par-delà la Frontière recèle logiquement plus d’interactions entre les personnages et moins de combats. Ce n’est pas un mal étant donné le peu d’enjeu représenté par les batailles contre les Énigmas, ces derniers se révélant des combattants inefficaces dotés de vaisseaux inférieurs à ceux de l’Alliance. La psychologie des protagonistes demeure assez sommaire et certains dialogues peu inspirés mais les fréquentes séances de brainstorming pour tenter de percer à jour les extra-terrestres ainsi que les vrais motifs des gouvernants de l’Alliance concernant l’envoi de Geary et sa flotte dans des zones aussi lointaines donnent à ce livre un côté enquête tout à fait rafraîchissant. Si l’histoire ne s’essouffle pas en chemin, il n’est pas impossible que cette deuxième saga surpasse même la première. En tout cas, ce tome est très rassurant quant à la capacité de se renouveler de l’auteur. Une bonne surprise, donc.
Éditions L’Atalante
Traduction : Frank Reichert
414 pages – 21 €
ISBN : 978-2-84172-583-0