"Le pouvoir" de Frank M. Robinson
Premier texte publié en France de cet auteur américain bien connu outre atlantique, ce texte nous vient de loin, puisqu’il date de 1956 dans sa version initiale.
La quatrième de couverture revendique un parallèle, entre autres, avec « L’échiquier du mal » de Dan Simmons, ou « Les racines du mal » de Maurice Dantec. Il se trouve, en effet, que pour des raisons confuses, « l’homme nouveau » évoqué dans ce roman soit malfaisant, en plus d’être puissant (voire tout puissant ?) par ses aptitudes mentales hors de l’ordinaire.
Un groupe d’universitaires mène pour la Marine des expériences sur la survie et la résistance des combattants : résistance à la douleur, notamment. Des expériences politiquement « très peu correctes » soit dit en passant, mais là n’est pas le sujet du roman. Dans ce contexte, il semble que l’un des membres de ce groupe soit doté de pouvoirs supra-normaux. Après la mort suspecte de son collègue John Olson, qui les a mis en garde, Bill Tanner est lui-même convaincu de la présence d’un suspect dans leur groupe. Tanner décide de démasquer le mystérieux surhomme, mais se voit aussitôt poursuivi, sa vie mise en pièces. Whodunnit psychique, car le « coupable » fait partie d’un groupe d’individus délimité, et s’apparentant donc à ce titre au polar classique, le fait initiateur inédit (un surhomme doté de pouvoirs maléfiques) permet de classer ce roman dans la science fiction. Il n’empêche, le roman fonctionne alors, plus ou moins, selon la logique de l’enquêteur seul contre tous (ou « seul à savoir »), schéma qui fut aussi celui du célèbre David Vincent des « Envahisseurs ». Hormis le fait qu’ici, il n’y aurait qu’un seul malfaisant à démasquer.
Le scénario est cependant très maladroit et mal conçu, voire naïf, malgré son aptitude réelle à faire monter la tension. Peut-être parce qu’il est daté dans l’univers qu’il dépeint (Amérique des années 50) mais, peut-être davantage en raison d?une hypothèse de départ fort peu crédible, même totalement invraisemblable? Une affaire de surhomme unique et isolé, à laquelle on ne croit pas une seconde, tant elle paraît tirée par les cheveux ; s’il faut admettre qu’il existe (puisque là est l’objet du roman), que faisait-il au sein de ce groupe de recherches ; pourquoi s’est-il stupidement découvert, via un simple questionnaire ; comment parvient-il à effacer aussi facilement la vie officielle de Tanner (archives bancaires, médicales et administratives diverses…) ; pourquoi joue-t-il ainsi au chat et à la souris avec Tanner, etc. ; quels sont ses mobiles, ses intentions ? Pourquoi est-il aussi délibérément, gratuitement, agressif envers une « humanité » qui ne lui a rien fait, que l’on sache ? Pour la dominer, par soif de pouvoir ? Certes. De plus, bien que le roman exploite le mode introspectif (perception des événements par Tanner), lui même déploie une logique d’enquête curieuse, et les indices qui motivent ses réactions et ses déductions sont souvent grossiers, surprenants, voire agaçants. La mention du nom de Adam Hart dans la lettre posthume interrompue d’Olson est une ficelle aussi usée que l?inintérêt apparent de la police pour cet indice très explicite. Dans le même registre, noter le lien relationnel obscur d’Olson, et de tout son village de naissance, avec leur tourmenteur commun.
En bref, « Le pouvoir » est un roman qui vient de loin, pétri de l’ambiance typique du polar des années cinquante : cigarettes, chapeaux mous et imperméables… Mais sa naïveté structurelle et scénaristique constante, qui déstabilise un peu plus le lecteur à chaque nouveau chapitre, n?en fait pas un ouvrage franchement indispensable. Sans doute a-t-il le mérite, assure l’éditeur, d’avoir ouvert la voie du « thriller psychique » sur fond de polar, mais en procédant de façon bien surprenante, ambiguë et peu vraisemblable, à la limite de la maladresse.
— Biff
Éditions Gallimard/Folio SF, septembre 2004
Inédit, traduit par Gilles Goullet, d’après : « The power », 1956 (révisé en 1984)
ISBN : 2-07-0315461-0 – Prix : catégorie F8 – illustrateur : non mentionné