« L’Enjomineur, 1793 » de Pierre Bordage
Paris, 1793, la Révolution bat son plein. Aux évènements historiques d’une rare violence (on guillotine à tour de bras, et même le Roi y passe), répond l’horreur des actes perpétrés par l’envoûté Cornuau, désormais agent révolutionnaire. Le sang coule à flots. Émile, bien loin de sa Vendée natale, est lui aussi plongé dans ce Paris d’intrigues et de massacres… Le destin mettra les deux hommes en présence.
Pas évident de prendre une trilogie en cours de route, au second volume. Il y a le risque de se perdre, de ne rien comprendre, ou de ne pas accrocher, faute d’une introduction suffisante à l’univers et aux personnages.
Fort heureusement, la lecture de cet Enjomineur, 1793 a été des plus agréables.
La signature de Pierre Bordage est pour beaucoup un gage de qualité, même si c’est surtout la fort belle couverture de Vincent Madras qui a orienté mon choix (une preuve de plus qu’il existe de très jolis livres de poche, pour peu qu’ils soient artistement illustrés). Il est vrai que le feuilleton Les Derniers Hommes, découvert dès sa parution en Librio, ne m’avait pas, malgré d’incontestables qualités d’écriture, laissé un souvenir impérissable.
Et pourtant, quel plaisir cette fois à la lecture de ce gros roman ! Classé en fantasy par l’éditeur, il fait davantage songer à un mélange bigrement réussi de roman historique et d’horreur fantastique (la prêtresse vaudou, les meurtres sanglants de Cornuau). La Révolution Française, période aussi passionnante que troublée, est admirablement recréée par un Bordage au sommet de son art. C’est bien simple : on ne lit pas un roman sur le sujet, on EST plongé en pleine révolution. Une multitude de détails extrêmement vivants et réalistes peignent un décor et un contexte d’une complexité rare. Bordage n’est pas de ces auteurs qui alignent les descriptions d’une plume morne (pour ne pas dire morte), histoire de pondre quelques dizaines de pages supplémentaires. Les pages s’enchaînent rapidement, nous capturant dans le flot tumultueux des aventures de ses héros, le bon Émile armé de sa dague magique et l’infâme psychopathe possédé Cornuau. On ne s’en lasse pas. L’écriture est superbe, à chaque page. Bordage est le digne héritier des plus grands feuilletonistes du XIXème siècle. Du feuilleton, évoquons aussi la secte des adorateurs de Mithra (divinité chère aux fans de Conan !), manipulatrice et ésotérique, qui tire dans l’ombre les ficelles des plus enragés révolutionnaires, pour conquérir le pouvoir. On pense un peu à cette mystérieuse série TV des années soixante, Les Compagnons de Baal.
Absolument pas fan de récits historiques et de pavés, l’auteur de ces lignes doit pourtant avouer une chose : même sans l’horreur, la violence et le surnaturel, cet Enjomineur resterait un très grand roman, excitant de bout en bout.
Initialement, je voulais citer quelques exemples de très grandes pages. Le choix s’est avéré plus difficile que prévu tant elles sont nombreuses ! On sort de ce récit à l’intrigue certes assez élémentaire l’esprit plein d’images, de sons et d’odeurs. Les scènes de foules, l’atmosphère du Paris d’alors, sont d’un régal absolu.
C’est en toute confiance qu’à peine achevé ce roman, j’ai acheté le premier volume. Et c’est avec un plaisir, je l’espère aussi grand, que j’accueillerai le dernier au printemps prochain sur les rayonnages de ma bibliothèque. Le cliffhanger final laisse augurer du meilleur !
Éditions J’ai Lu
8,40 €
ISBN : 978-2-290-01524-7