« Par-delà les murs du monde » de James Tiptree Jr.
Lieu 1 : le vide intersidéral. Une entité de la taille d’un système stellaire traîne sa honte et sa haine à travers la Voie Lactée. Elle s’éloigne de ses semblables sans espoir de retour. Éperdue et désorientée, elle dévore les étoiles et annihile toute vie qui jalonne sa route.
Lieu 2 : la géante gazeuse Tyree. La joviale Tivonel plane et cabriole à cinquante kilomètres de la surface dans la gloire colorée du Son. Elle quitte le Haut-Pays Sauvage pour le Poste des Écouteurs où elle va retrouver Giadoc, le Père qui a porté leur enfant. Elle ne se doute pas qu’elle vit ses derniers instants de frivolité.
Lieu 3 : la Terre. Le docteur Daniel Dann, affecté aux soins des télépathes du projet Polymère, redécouvre peu à peu la joie de vivre depuis sa rencontre avec la belle informaticienne Margaret Omali. Mais sous son allure de gazelle, la belle Africaine cache un secret des plus douloureux.
Difficile de croire que ces trois histoires ont un rapport entre elles. Ce rapport, c’est « Par-delà les murs du monde », réédité ici par Folio-SF, l’un des deux romans rédigé par la regrettée James Tiptree Jr., dont les singulières nouvelles ont contribué à renouveler la SF des années soixante-dix. Et force est de constater que certaines de ces idées frappent toujours trente ans après (le roman a été publié en 1978) : les Tyrenni, semblables à des raies de plusieurs dizaines de mètres d’envergure, avec leurs mâles porteurs d’enfants, leur planète de vents et de couleurs sonores, en sont l’exemple le plus marquant. Flirtant à la fois avec la hard-science, la sociologie et une pointe de psychanalyse, ce roman reprend le thème de prédilection de l’auteur : l’identité de genre, l’influence du sexe biologique dans la construction psychique de la personne. C’est surtout visible lors de la confrontation des cultures terriennes et tyrenni, les mâles jouant le rôle de mère chez ces derniers. Mais on en a aussi un aperçu dans la représentation que se fait le docteur Dann des deux homosexuelles présentes au sein de l’équipe et dans la manière dont la mutilation subie par Omali pendant son enfance a mutilé également son âme. Pour la petite histoire, il existe un prix James Tiptree Jr., délivré depuis 1991 aux ouvrages qui, à l’instar de l’écrivain, explorent les diverses facettes de la sexuation.
« Par-delà les murs du monde » regorge d’exotisme, de pertinence et de pistes de réflexion mais n’est pas exempt de défauts. Et certains de ces défauts mettent peut-être en lumière la raison pour laquelle James Tiptree Jr. a écrit si peu de romans. En premier lieu, il y a des longueurs. L’auteur prend le temps de travailler la personnalité de ses personnages et tend à leur allouer des plages introspectives qui sont parfois superflues. Daniel Dann se lamente sur de nombreuses pages, par exemple, sans que cela apporte grand-chose au roman, si ce n’est, à la rigueur, un effet de contraste avec la nature positive et enjouée de Tivonel. Dans le même esprit, la fin du récit met son temps à venir. Le dénouement, qui est plutôt cousu de fil blanc, est interminable et on se surprend à lire certaines pages en diagonale pour abréger les ratiocinations des différents protagonistes. Enfin, la transcendance psychique new age qui permet de réunir et de faire interagir tous les personnages apparaît au mieux datée, au pire solution de facilité chez un auteur qui n’a pourtant pas l’habitude de s’épargner le moindre effort lorsqu’il s’agit de surprendre le lecteur.
Un bilan donc mitigé pour ce roman. Même si l’on ne peut être complètement déçu du fait de la patte James Tiptree Jr (Tyree et ses habitants, la justesse des observations psychologiques et sociologiques), on pouvait aussi légitimement s’attendre à mieux. Le lecteur qui désire se faire une idée de l’héritage littéraire que cet auteur a laissé à la SF gagnera plutôt à se tourner vers ses nombreuses nouvelles et novellas.
Éditions FolioSF
Traduction : Élisabeth Vonarburg
493 pages – 8,20 €
ISBN : 978-2-07-035972-1