« Péninsule » de Michaël G. Coney
Il s’agit un roman, Les Crocs et les griffes, et de quatre nouvelles qui s’y rattachent avec pour point commun le narrateur, Joe Sagar, et les lieux. La Péninsule, reste de ce qui fut le prolongement d’une des îles après que l’Océan Pacifique ait provoqué un gigantesque glissement de terrain le long de la Grande Faille. Il y a de longues années. Très longues puisque les navettes spatiales y sont monnaie courante. Pas suffisamment longues pour que les hommes aient vraiment changé. Un monde terriblement ordinaire teinté d’un vague colonialisme. Où les bons sentiments ont fini par rejoindre les pires. Il y a des esclaves désormais. Oh, non pas des « vrais » esclaves puisqu’il s’agit de criminels auxquels la société permet de raccourcir leur peine en s’attachant à un maître en tant que P.D.C. N’est-ce pas vertueux ? Des êtres dont la seule peine consiste à offrir, le cas échéant, les organes ou membres que ce maître viendrait à perdre. Et comme nul n’a envie d’être estropié, on a de fortes chances d’être libre et en parfait état bien plus tôt que prévu.
Et puis, n’est-ce pas le moins que tous ces criminels travaillent plutôt que d’être entretenus à ne rien faire par les honnêtes citoyens ?
Joe Sagar, le tout premier, n’a rien que de très honorable. Il élève des slictes, petits lézards qui, au cours de leur mue, abandonnent une peau très douce aux couleurs changeantes dont on fait des vêtements et des cadeaux. Il traite convenablement son contremaitre et P.D.C attitré et celles, travaillant à l’élevage, qui lui sont envoyées par le pénitencier. Et il se réunit régulièrement avec les membres de son club, le club de Vol Libre de la Péninsule, maniaques de vol en planeur et d’hydrofoils ; ordinaire routinier d’un célibataire classique.
Tout changera dans sa vie lorsque Carioca Jones, une actrice sur le retour viendra lui commander une robe en peaux de slictes. Une commande si coûteuse qu’on ne la refuse pas malgré la déplaisante présence du requin de terre de la dame, Wilberforce, un poisson psychopathe qu’elle trouve charmant.
Au bon vieux temps du carburant liquide est un retour désabusé sur l’enfance, du temps où Joe rêvait en regardant atterrir les grandes navettes venues de l’espace. Juste le temps d’une courte escapade vers le Pacific Northwest de sa jeunesse où, depuis la création de nouveaux spatioports, sont désormais abandonnées leurs vieilles carcasses.
La machine de Cendrillon est celle qui devrait rendre à Carioca Jones, à l’occasion d’une rétrospective de sa longue carrière, le visage de sa jeunesse. Le temps n’est pas clément pour les visages, même si l’actrice a gardé un corps parfait. Mais à minuit, le carrosse ne redevient-il pas citrouille ?
La catapulte et les Étoiles est la relation de la rencontre entre Joe et un couple invité chez Carioca. Lui, Wayne Traill, acteur, modèle-type du héros viril envié par les hommes. Elle, Irma, qui supporte de la meilleure grâce possible les agaceries de la vieille actrice envers son mari.
Enfin, une dernière petite nouvelle, Les insectes de feu, Holly et l’amour, qui tient d’une réflexion sur le sens de la vie, suffisamment teintée de poésie pour ne pas être vraiment désespérée.
C’est bien là de la SF, certainement, de celle qui m’a rappelée pourquoi je l’appréciais tellement autrefois avant qu’il n’en soit édité de telles quantités que la qualité ne pouvait suivre. Pour autant, comme il en allait déjà avec Le Chant de la Terre, l’écriture de Michaël Coney échappe à toute stricte classification. On y trouvera une réelle réflexion portant, notamment, sur les dérives sécuritaires, le trafic d’organes, les manipulations génétiques et, tout simplement, sur l’être humain… Bref, malgré quelques incohérences internes puisque ces nouvelles devaient former un cycle mais n’ont pu être reprises en raison du décès de l’auteur, un livre tout à fait remarquable que j’ai beaucoup aimé.
Éditions Folio SF
471 pages
ISBN : 978-2-07-036263-9