« Princes de la Pègre » de Douglas Hulick
Drothe est un Nez.
Son flair, il l’utilise pour collecter l’une des denrées les plus précieuses de la ville d’Ildrecca : l’information. Et lorsqu’on travaille pour l’un des gros caïds de la pègre, il s’agit d’être toujours au courant de la moindre nouveauté et de la plus infime rumeur. Mais Drothe utilise aussi son réseau d’informateurs afin de gérer son propre trafic de reliques impériales et arrondir ses fins de mois. C’est cette activité annexe qui va mettre en branle le tourbillon de péripéties dans lequel il va se trouver projeté. Au menu : espionnage, escarmouches endiablées, trahisons et conspirations.
Si la vie de Drothe va être souvent mise en danger, c’est surtout sa loyauté qui sera l’enjeu principal de cette aventure. Loyauté envers son patron, le brutal Niccodemus qui dirige ses troupes d’une main de fer et encourage la rivalité entre ses lieutenants. Loyauté envers son meilleur ami, Bronze Dégane, épéiste inégalable toujours prêt à le soutenir dans les coups tordus tant que cela ne contrevient pas aux règles de la mystérieuse confrérie des déganes. Loyauté envers sa sœur Christiana, qui s’est élevée dans la société à force d’intrigues et grâce à un veuvage avantageux et n’a pas hésité à tenter d’éliminer son frère pour effacer ce lien familial gênant. Loyauté envers ses condisciples voleurs, des plus humbles, inquiets de la guerre fratricide qui s’annonce, jusqu’aux plus puissants, les Princes Gris dont le retour tonitruant bouleverse l’échiquier politique de la pègre d’Ildrecca. Loyauté envers l’Empereur, enfin, dont la santé mentale s’étiole au fur et à mesure de ses réincarnations mais qui semble être le seul à garantir l’unité de la nation. Or la loyauté n’est pas exactement une constante lorsqu’on officie dans le milieu du crime.
Douglas Hulick a choisi la fantasy urbaine comme cadre de son premier roman, un genre tendant à mettre des voleurs sur le devant de la scène depuis le cycle des Épées de Lankhmar de Fritz Leiber. La petite originalité des Princes de la Pègre est de nous présenter le fonctionnement de l’organisation au lieu de seulement se focaliser sur les monte-en-l’air eux-mêmes. Ce que le roman en montre est plus proche de la structure mafieuse que de la traditionnelle guilde des voleurs plutôt inoffensive et demeurant très en retrait. Et pour enfoncer le clou, ici les voleurs se jalousent, se concurrencent voire s’entretuent. L’auteur est même allé jusqu’à truffer sa narration de diverses formes d’argot empruntées à l’histoire anglaise et américaine afin de renforcer l’immersion dans les bas-fonds citadins et s’éloigner de la forme policée commune à la fantasy.
Bref, tout semble indiquer qu’on à affaire à un roman résolument adulte. Malheureusement le style hésitant de l’auteur nous ôte vite cette illusion. Les dialogues, surtout, qui se taillent la part du lion dans le récit, peinent à convaincre tant ils sonnent faux et forcés. D’une part, tous les protagonistes parlent de la même manière et affectionnent les mêmes tournures. D’autre part, la présence d’au moins un merde ou putain par phrase donne plus l’impression d’être dans une cour de collège que dans les rues d’une cité médiévale.
Dommage parce qu’il y a une vraie tentative de sortir de l’ordinaire de la part de l’auteur : outre les éléments précités, il y a cette magie très sympathique et son lot d’armes improbables à base de runes accrochés à des rubans ; il y a cette notion des réincarnations de l’Empereur fonctionnant par trio, assez peu détaillée dans ce roman mais dont on sent qu’elle donnera de la matière au deuxième tome ; il y a surtout ce complet anti-héros qu’est Drothe, aussi grande gueule que maladroit (il éternue lors d’une tentative d’espionnage discret et manque de se faire tuer par un de ses propres pièges !) et qui est sans arrêt en déficit de sommeil à trop vivre la nuit.
Nous voici donc face à premier roman qui ressemble à une image d’Épinal de premier roman : d’un côté un auteur plein de bonne volonté essayant de s’extirper de l’ornière d’un genre tout en en conservant le plus intéressant, de l’autre une narration qui se cherche et des dialogues peu naturels affligés de tics d’écriture, signes d’un manque de métier.
La bonne nouvelle est que cette histoire se lit indépendamment de sa suite. La mauvaise est que le deuxième tome, commencé en 2011 et annoncé pour 2012, n’est toujours pas sorti et que la tendance à la procrastination de Douglas Hulick n’est plus à démontrer après qu’il ait mis dix ans à venir à bout des Princes de la Pègre.
Éditions L’Atalante
Traducteur : Florence Bury
474 pages – 21 €
ISBN : 978-2-84172-590-8