« Sans fil et autres récits de science-fiction » de Rudyard Kipling
Il y a toujours quelque chose de merveilleux dans les surprises et ce fut pour moi une vraie surprise que de découvrir Rudyard Kipling en auteur de science-fiction. C’est un des inconvénients des auteurs si connus dans l’enfance, et peut-être même de la plupart des « grands classiques », qu’il est rare qu’on ait l’idée d’aller chercher plus loin.
Ce n’est donc pas à ma curiosité, pourtant très grande, mais à plus curieux que moi que je dois cette découverte. L’ouvrage contient en effet quatre nouvelles de science-fiction, d’une science-fiction à la Jules Verne – cet émerveillement tout à fait enchanté devant les « machines » – ainsi que des poèmes auxquels s’ajoutent quelques éclairages particuliers puisque sa rédaction est issue des deuxièmes Journées interdisciplinaires Sciences et Fictions de Peyresq.
Le tout présenté par deux voix connues, celles de Roland C. Wagner, évoquant l’héroïque petite mangouste Rikki-tikki-tavi, et d’Ugo Bellagamba, nous faisant part de son propre émerveillement.
Sans fil tient quelque peu de la science-fiction mais peut-être davantage encore de la veine fantastique. À tous ceux qui ne connaissent pas suffisamment Keats et Coleridge, je suggèrerais de lire préalablement l’analyse qui en est faite par Daniel Tron, sous le titre : La Muse magnétique de Rudyard Kipling. Elle ouvre de nouvelles perspectives à la lecture de cette nouvelle. Le narrateur, qui s’apprêtait au départ à suivre une expérience sur les ondes hertziennes, va en suivre une tout autre sur l’écriture automatique. Il est vrai qu’il s’agissait d’une fantaisie alors tout aussi « à la mode » que les inventions de Marconi.
L’enfance de l’air est tout à fait curieux et prend une saveur toute particulière à notre époque de diabolisation politique des systèmes d’information et de communication. Alors que le monde vit sous l’administration du Bureau de Contrôle des Airs, l’Illinois décide de faire sécession en raison de l’atteinte à la vie privée commise par un groupe de Serviles : des hommes et femmes qui prêchent le retour au pouvoir du Peuple, de la Démocratie et du Vote. Le BCA est donc appelé en renfort afin d’éviter que ces agitateurs ne soient lynchés. Je vous laisse le plaisir de découvrir le sort de ces trublions traités avec un humour tout anglais, encore qu’il s’agisse d’un joli sujet de réflexion.
Le navire qui trouva sa voix m’a particulièrement plu. Voilà une histoire pleine de la magie de la machine. Et elle est toute entière contenue dans le titre puisqu’un navire ne saurait s’exprimer avant d’avoir suffisamment navigué.
Dans le même bateau relate la maladie du jeune Conroy, pris de crises de terreur irrépressibles qui l’ont conduit à la prise chronique de somnifères, du traitement auquel il sera soumis et des résultats de celui-ci. Nouvelle qui relève davantage de la psychologie que de la SF mais qui, elle aussi, révèle Kipling sous un angle tout à fait inattendu et, toujours, une grande maîtrise de l’écriture.
Plusieurs poèmes qui ne manquent pas de force ponctuent ces nouvelles avec l’originalité, pour la Sestine de la Vagabonde Royale, d’être accompagnée de deux traductions différentes ce qui démontre, s’il était besoin, que traduire la poésie est une gageure et en rend difficile l’appréciation.
Un livre donc agréable à lire, à la fois parce qu’il est une découverte et parce que, finalement, le manque de sobriété de la science-fiction de la grande époque m’avait toujours paru nuire à sa parfaite efficacité. Ce n’est pas le cas ici.
Éditions du Somnium
284 pages – 13 €
ISBN : 978-2-9532703-5-8