« Ta-Shima » d’Adriana Lorusso
Splendide planet opera sur lequel planent les ombres tutélaires de Jack Vance et, surtout, d’Ursula Le Guin, sans oublier un petit côté Meilleur des mondes, ou plutôt Île du Dr Moreau, avec également une fascination évidente de l’auteure pour le bushido et la société japonaise traditionnelle en général, Ta-Shima (chez Brage), premier roman d’Adriana Lorusso, une italienne qui l’a traduit elle-même en français, m’a procuré un de mes plus vifs plaisirs de lecture des douze derniers mois. Pas un instant je ne me suis ennuyé. Comme l’auteure passe souplement d’un rebondissement à l’autre, presque d’un genre à l’autre (un moment on est dans de l’ethno-fiction, puis on passe à quelque chose de plus politique, pour revenir à une SF proche de la hard-science, et puis, hop, ça vire à l’énigme policière, et vous voulez un brin d’aventure exotique ? vous voilà servi, etc.), elle a réussi à me tenir en haleine sur près de 600 pages. Ça faisait un petit moment que je n’avais pas réglé mon réveil une heure plus tôt le matin pour pouvoir lire plus… Alors, pourquoi ? Ben, ce roman possède des qualités qui m’importent beaucoup : le rythme, la cohérence du propos (malgré « les changements de genre » internes soulignés plus haut), ou encore la crédibilité de l’univers décrit. Je ne sais pas le dire mieux : « ça marche », « ça prend », quoi… comme prend une sauce. Récit complexe et passionnant d’une confrontation entre deux civilisations que tout oppose, très belle réflexion sur la relativité cultuelle, le libre-arbitre et, aussi, sur ce qu’est un être humain, roman où l’écologie joue un rôle important – au sens de l’interaction entre l’environnement planétaire et la société qu’il a contribué à façonner –, Ta-Shima refuse l’exotisme, euh, « biscornu » facile, celui qui veut être original à tout prix (la partie terraformée de la planète Ta-Shima ressemble, en plus monotone, à la Vieille Norstralie, pour ceux à qui ce nom rappelle quelque chose. Il aborde des questions essentielles avec subtilité, jusqu’à sa terrible phrase finale, fin ouverte qui prolonge en point d’orgue le propos du récit (et marque, dans la façon dont je l’ai comprise, l’échec de la personnage principale dans le combat intérieur qu’elle avait entrepris). Et tout ça est écrit avec une humanité et une compassion qui honorent l’auteure. Décidément, depuis que Jean-Claude Dunyach a pris la direction de la collec’ SF chez Brage, entre Richard Morgan, Karen Traviss ou (bien entendu) Peter Hamilton, je nage d’heureuse surprise en belle découverte.
Éditions Bragelonne
595 pages – 22 €
n° ISBN : 978-2-35294-059-3