« Contes Myalgiques I – Les Terres qui rêvent » de Nathalie Dau
Sous une bien jolie illustration de couverture, très appropriée, et accompagnée d’une postface de Millemann qui nous livre les clefs du titre, l’auteur nous entraîne à sa suite dans la forêt des contes. Vous n’y trouverez aucune clairière lumineuse mais, pourtant, des coulées de lumière entre des bois très sombres.
Une écriture poétique pour onze nouvelles, non dix, à vrai dire, car Faux-pas, triste mésaventure survenue à un troll et relatée par ses propres soins, est dans un style trollesque tout à fait crédible et, partant, très drôle.
L’ouverture se fait avec La Femme, la sorcière et l’amour. Une simple paysanne qui repiquait le riz pendant que son époux, resté à protéger le bétail dans le village, fut tué par un tigre. Mais comment pourrait-elle accepter de l’accompagner sur le bûcher si elle ne peut admettre sa mort. Parce qu’elle a été compatissante, il lui sera cependant permis d’affronter la mort. Une légende d’Orphée à rebours dans une Inde lointaine.
Bonne année ! nous ramène à ces temps où l’on choisissait annuellement un roi pour assurer la fertilité et la sécurité du village mais encore faut-il s’assurer de la valeur de ce roi en choisissant parmi les enfants qui se démarquent le mieux de leur entourage ou ceux qui désirent le plus être aimés.
Aenor conte l’origine des trois menhirs dressés à la pointe d’un cap de Bretagne. Ils demeurent le souvenir de Gwen Aenor la fée, aimée puis rejetée par un roi qui crut pouvoir traiter une fée comme on traite trop souvent les mortelles.
Chicanerie, petit poème désenchanté, vient se glisser entre cette nouvelle et Le Violon de la fée qui la suit, version toute moderne de l’objet magique qui sauve son possesseur de toute misère. Ce violon-là est du à Pazzi, artisan luthier génois émigré en Lorraine, qui l’a taillé dans un morceau de bois hérité du grand-père Orlando.
Le Siestophage est le juste éloge de la sieste, car il ne faut pas s’y tromper, la sieste dans le Midi n’est assurément pas une occupation de paresseux mais bien un culte rendu aux esprits bienveillants qui nous entourent.
Il arrive que même une princesse puisse être abusée par un père. Ce sera le triste sort de Lucine dans une lointaine contrée où le patriarcat s’allie au religieux pour engendrer des monstres. Mais il néglige la force du choc en retour lorsque les victimes prennent en main leur propre sort ; gare à qui s’y frotte !
Désespérée, une triste et poétique allégorie de la mort qui apporte justice ou apaisement des souffrances mais sans que celles-ci ne lui soient épargnées.
De justice, il est également question dans Demain les trottoirs. Ces trottoirs où grelottent les miséreux auxquels le vieil hiver ne fait pas de quartier et qui s’abritent en vain dans des cartons tout en rêvant d’un ailleurs. La nuit de Noël, pourtant, on pourrait espérer un miracle pour un gamin affamé. Mais, dans le monde réel, le cœur ne s’attendrit guère devant la misère. Rat d’pavé en sait quelque chose. Aucun miracle n’est jamais totalement donné.
Vale Frater nous entraîne au fin fond de la vieille Russie des mythes lorsque tout le courage d’un chaman est requis pour protéger les siens. Car la redoutable sorcière Khocedabam, celle qui a emprisonné l’Homme-Lune, revient trois nuits durant à chaque siècle pour dévorer les jeunes gens bien vivants de la tribu.
Une lecture attachante que celle de ces contes désenchantés où la souffrance est à ce point ciselée qu’elle en devient objet de beauté.
Griffe d’Encre
161 pages – 12 €
ISBN : 978-2-9529239-2-7