« Dans la Forêt des astres » de Timothée Rey
Au cœur de la forêt inquiétante et rêveuse de l’illustration de couverture, également due à l’auteur, se cachent vingt-et-une nouvelles flirtant avec la science-fiction et regroupées en quatre thèmes.
La première série, Murs Mitoyens, même si elle s’achève « gentiment » par l’histoire de Pierrier-par-cœur contre les dévoreurs de montagne, celle d’une marmotte bien décidée à défendre son territoire contre la construction d’une route, est plutôt de l’ordre satirique.
Elle commence par les conséquences d’une religion poussée jusqu’à son extrême immixtion dans la vie des fidèles, Capitaux des péchés. Si le sujet a déjà été traité, il n’en est pas moins efficace ici.
Flux tendu… je vous laisse découvrir comment on pourrait se nourrir à l’avenir. Un humour plutôt noir et qui fonctionne bien. On peut en dire autant de Face au Quarante-et-unième rugissant et De ses propres ailes qui passent à la moulinette l’Académie française et les suiveurs de Léonard de Vinci. Bonjour les illusions et bonjour les renoncements !
Suivent les Horizons décousus avec, tout d’abord, une pièce de théâtre en un acte, En attendant la concordance de phase… une concordance dont on n’est pas sûr qu’elle se produise jamais. Les araignées scintillantes au-delà des gouffres sont une menace à ne pas négliger lorsqu’on est chauffeur sur une locomotive qui franchit les mondes. C’est là un presque documentaire plutôt qu’une « vraie » nouvelle.
Et si… si la Gaule n’avait pas été conquise, pas plus que l’Amérique découverte, quels auraient été les rapaces du fameux « Comme un vol de gerfauts » ?
Trois minutes pour cuire un œuf à a coque ? Mais il peut s’en passer des choses en trois minutes, surtout sous une plume bouillonnante. Le temps est vraiment très relatif dans Silicone carnée !
Mais je lui ai pourtant préféré les Dix-sept feuillets épargnés du journal de Cham. C’est tout le plaisir des récits historiques que l’anecdote, et celle-ci vaut bien un grand A même s’il faut doter cet historique-là d’un petit h.
En troisième partie, celle des Transis en transit, on pourra s’autoriser un léger bâillement puisque Dans l’espace personne ne vous entendra bâiller : heureusement qu’il reste au moins un steward aux commandes dans un vaisseau tombé en léthargie. Ce n’est pas le cas des pilotes de mondes différents dont les nefs se croisent dans Légumes des jours, même si nous devons être seuls à savoir le pourquoi du comment. Syrinx, fichier bribes, est un peu confuse. Il est vrai qu’il n’est guère commun pour des IA de se poser des questions existentielles par le biais de la mythologie.
L’ouvrage se termine par les Espaces habitables. Planètes terraformées ou autres. Des nouvelles au ton doux-amer, avec un brin de mélancolie, même si C’est vrai, quoi, chacun son tour ! mélange guerrier tirant sur la fantasy m’a paru tout à fait drôle et bien propre à faire réfléchir sur une égalité bien comprise.
La Vieille qui, là-haut, porte son fagot noir, nous l’avons tous vue en regardant la lune, mais savions-nous vraiment ce qu’elle vivait et pourquoi elle ramassait des brindilles ?
« Qui suis-je ? » dit le klapoutcheewoc, n’est rien moins que la quête de son identité et la capacité d’interpréter les réponses mais quand c’est un « monstre » qui s’en inquiète et dans la pure ligne des contes africains, ce n’est pas rien.
Du coup, L’Ordure/Un, même avec un Hal B-Rich, Intelligence Artificielle Bridée-Asimovée, plus vrai que nature cherchant le trésor des nixes pour se libérer, ne m’a pas persuadée, non plus que Ce que regarde l’œil. C’est tout le problème d’un ensemble de très bons textes, les meilleurs portent ombrage aux autres.
Mille soleils, une pluie nous ramène dans un lointain passé-futur. Tzatzilin, le Chasseur contrefait participe à la traque des Machines en vue d’un sacrifice à Huitzilopochtli pour que revienne enfin le Septième soleil, miroir du dieu jadis dérobé par Quetzalcoatl.
L’Odeur des pluies de mon enfance est celle que retrouve Cérèze Iaga ot-Démétri, Maîtresse Goûteuse ès Terres & Limons en revenant sur la planète Corazon. Pour y remplir un contrat mais, surtout, en raison de propriétés telles de certaines de ses terres qu’elle espère de toutes ses forces y retrouver le bonheur. Mais le passé revient-il jamais ? Une très belle nouvelle.
Enfin, avec Ivan et l’oiseau-chanteur, l’auteur interprète à sa manière bien particulière le conte russe de l’Oiseau-de-feu mais sur Mars, et qui pourrait affirmer si, ailleurs que sur la Terre, les contes finissent toujours bien ?
Une écriture inventive, drôle, avec une petite pincée de cruauté ou de tristesse sous-jacente. Bref un plaisir à lire. Ce n’est donc pas un hasard si l’auteur a obtenu le prix Rosny 2011 pour une autre de ses nouvelles et un moins grand hasard encore si j’en recommande la lecture.
287 pages – 26 €
ISBN : 978-2-36183-062-5