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Encre Dansante n°1

Signe d’un dynamisme des collectifs littéraires et de l’émulation apportée par Internet, nous assistons actuellement à un boum de l’édition d’anthologies et de revues SFFF en ligne. Les principaux bénéficiaires de cet engouement sont les jeunes auteurs et illustrateurs à qui est donné un support supplémentaire de publication et un lectorat théoriquement plus important que celui des fanzines papiers.
Encre Dansante, comme nombre de ses confrères webzines, est né d’un forum (l’Antre des Ecrivains) et de la passion d’un groupe d’auteurs amateurs. La formule choisie est celle de la revue à thème, entrecoupée de quelques articles. Le thème en question se présente sous la forme d’une phrase assez éloquente : « …et les aiguilles de continuer de tourner… » et est magnifiquement illustré par le dessin de Christophe Sivet qui signe une fois encore une couverture remarquable (voir celle de l’anthologie Parchemins & Traverses « La Tour »).
En ce qui concerne la maquette, on est dans le classique mais efficace. Les bios des auteurs et de leurs illustrateurs sont présentées ensemble à la fin de chaque texte. Les illustrations sont agréablement mises en valeur et en partie reproduites sur la marge droite.
Un seul bémol : le fichier .pdf est très lourd (plus de 17 Mo) et sa lecture risque de faire trimer votre processeur si votre ordinateur est un peu ancien.
Je passerai sur les quatre articles qui m’ont semblé remplir leur office informatif, pour autant que j’en puisse juger, pour ne me consacrer qu’aux textes.
Voyons donc si les nouvelles proposées sont assez prenantes pour elles même nous faire oublier la course du temps.

« L’aiguilleur » de Suzanne Van Weddingen – illustration d’Angélique Kerval
Le voyageur lambda n’a pas l’apanage de souffrir de l’angoisse de rater son train : cela peut arriver à un professionnel des chemins de fer aussi. Dans ce texte court et intense, un aiguilleur en retard s’est lancé dans la course de sa vie pour rejoindre son poste et éviter une catastrophe potentielle. Bien que la situation décrite soit assez peu réaliste, la narration est haletante et nous dévoile l’histoire par petites touches sans rien nous faire perdre du parcours désespéré. Seule une fin confuse nous empêche de savourer ce texte jusqu’au bout.
L’illustration toute en mouvements d’Angélique Kerval facilite notre immersion dans cette histoire marathonienne.

« Enhardt » de Christian Fontan – illustration d’Angélique Kerval
Enhardt nous plonge dans une histoire alambiquée où les paisibles habitants d’un village perdu se révèlent incroyablement résistants au passage du temps. Peut-être ne sont-ils pas ce qu’ils semblent être… Le récit est ambitieux et développe sa propre mythologie mais est affaibli par des dialogues peu inspirés et une narration hésitante. Ici, ce ne sont pas les idées qui manquent, juste un peu de méthode dans la manière de les faire vivre.
L’illustration d’Angélique Kerval faussement épurée et véritablement inquiétante donne une fois de plus le ton de la nouvelle.

« La boîte verte » d’Odile Kennel – illustration de Vianney Carvalho
Il était presque incontournable que l’un des récits évoque le voyage dans le temps. C’est Odile Kennel qui s’en charge avec ce récit de SF imaginant la démocratisation de l’exploration temporelle et le temps comme un bien consommable. Le concept a de quoi enthousiasmer. Hélas ! Le traiter se révèle une gageure pour l’auteure qui se perd dans ses propres lignes temporelles et n’arrive pas à insuffler à sa trame suffisamment de vraisemblance pour provoquer chez le lecteur la suspension d’incrédulité attendue. Et le fait d’essayer de masquer ces tâtonnements derrière une poésie laborieuse n’arrange rien à l’affaire.
L’illustration numérique de Vianney Carvalho, à la fois sereine et désordonnée, nous offre un bon aperçu du chaos de ce monde sans repère.

« La montre de Justine » de Chloé George – illustration d’Angélique Dujarrier
Chloé George nous présente le récit poignant d’une fillette promise à la mort et qui contracte un pacte avec cette dernière pour bénéficier d’un sursis. À partir d’une idée assez classique, l’auteur choisit habilement de poser la question : « Comment réagirions-nous en ayant conscience de l’heure de notre fin et du fait que nous vivons une tranche de vie usurpée ? » Justine répondra tant bien que mal à cette interrogation à travers les prismes successifs de son enfance, de son adolescence puis de l’âge adulte. Un récit dont la surprise ne se situe pas dans le thème ni dans son traitement mais dans la maturité qui s’en dégage lorsqu’on sait que son auteure n’a que seize ans.
Le dessin d’Angélique Dujarrier qui mêle couleurs et tracés naïfs et expression de personnage désabusée est une fois encore bien en adéquation avec la nouvelle.

« La vieille horloge » de Jacques Lamy – illustration de Laure Abensur
Un court texte en vers libérés pour achever de nous convaincre que rien ne peut freiner le tic-tac inexorable de l’horloge. Sauf, peut-être, l’amour…
La beauté ineffable du conte se marie à merveille avec celle de son illustration.

« L’amour du détail » de Stella Guerden – illustration de Claudine Leroy
Bastien, jeune collégien rêveur, a une passion dans la vie : une vieille montre en vitrine d’un magasin d’antiquités. Pour aller jusqu’au bout de sa passion, il va lui falloir vaincre sa timidité et oser aller à la rencontre d’un vieil antiquaire reclus. Une historiette en forme de tranche de vie qui traite d’un amour pour un objet-symbole et de la manière dont on peut faire fi du fossé entre deux générations.
Ce récit à la fois anodin et puissant ne contient pas un seul gramme de littérature de l’Imaginaire et on aura tort de s’en plaindre tant l’émotion et la justesse y sont adroitement distillées.
Le dessin en crayonné de Claudine Leroy nous montre avec talent la transfiguration de Bastien.

« Leah » de Tonie Paul – illustration de Marc Dubord
L’immortalité est-elle vraiment plus enviable que nos existences éphémères ? Ce n’est pas ce que pense Leah, la mélancolique créature dont traite ce récit. D’autant que l’immortalité a toujours un prix… Voici une sympathique histoire dans la plus pure tradition des récits gothiques du XIXème siècle : le verbe y est languissant et l’atmosphère dramatique. La chute, amenée progressivement, est bien maîtrisée.
L’illustration, un montage photographique à la forte puissance d’évocation, n’est pas en reste, mais souffre d’être un peu écrasée par la mise en page.

Malgré la difficulté de composer un fanzine entièrement thématique (surtout dans le cas où relativement peu d’auteurs répondent à l’appel à textes), Encre Dansante s’en tire honorablement. Le point fort de ce numéro demeure sa variété, autant d’un point de vue des genres – tous sont représentés, même la littérature dite générale – que du style et des sensibilités des auteurs sélectionnés. Et si le niveau qualitatif et la pertinence des textes connaît des hauts et des bas, tous les lecteurs devraient en partie y trouver leur compte. Ce numéro d’Encre Dansante ne révolutionnera certes pas le petit monde des webzines mais il débute de manière plutôt encourageante. À lui dorénavant de réussir à faire son trou et, si possible, de parvenir à se singulariser de ses pairs.

— Neocrate, le 19/12/06

Webzine gratuit téléchargeable à l’adresse suivante : morin.n41.free.fr/fanzine/index.php
Format A4 – 66 pages
Courriel : encredansante@gmail.com

Cibylline

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