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"Fata Designata" de Sébastien Gollut

Un roman fantastique accompagné d’un jeu de lames de tarot. Quoi de plus inoffensif ? Voilà pourtant le point de départ d’une quête troublante et des soucis d’Alexander Trace, ethnologue rêveur et désargenté qui va découvrir à ses risques et périls qu’il y a bien des façons de déchiffrer la réalité. Surtout lorsqu’on est soi-même un personnage de roman…

Sébastien Gollut, qu’on connaît pour ses multiples histoires courtes fan-éditées sous autant de pseudos et ses illustrations désopilantes qui ont les faveurs de Solstare, l’Oulifan ou encore Parchemins et Traverses, nous sert ici son premier roman. Et, puisque le monsieur ne semble rien faire comme les autres, voilà qu’il choisit d’emblée la difficulté en axant sa trame sur une mise en abîme (pour ceux qui auraient des hésitations sur le vocable « mise en abîme », voyez le subtil aperçu qu’en donne Michaël F. dans sa chronique sur Fata Designata).
La mise en abîme n’est pas en soi un procédé original en littérature : en ce qui concerne le domaine de l’imaginaire, nous pouvons déjà citer quelques uns de ses farouches partisans en les personnes de Christopher Priest, Francis Valéry et Fabrice Colin. Là où Gollut se démarque des autres, c’est qu’il focalise sa rétroaction non pas sur l’auteur lui-même, mais sur l’objet livre (et les cartes qui vont avec, dans ce cas précis). Et l’interaction avec le lecteur marche à merveille. Vous vous surprendrez à interrompre de temps à autre votre lecture et aller jeter un œil sur la couverture où sur les cartes incluses dans le roman. On ne peut qu’admirer ici l’entente entre l’auteur, son illustrateur et l’éditeur pour faire de l’ouvrage le véritable héros de l’histoire. Dommage que cette belle collaboration n’ait pas été aussi exemplaire en ce qui concerne la relecture et la correction du récit : de nombreuses coquilles émaillent le texte, dont certaines impardonnables (le prénom Aimé qui devient Aimée à la page suivante). À quoi il faut ajouter une mise en page assez étrange : absence totale de tabulation, pas de saut de ligne entre les paragraphes, certaines parties du texte – celles où Alexander Trace livre ses réflexions à l’écrit – non justifiées. Le contraste n’en est que plus frappant avec les illustrations d’Aurélien Police fort réussies et l’aspect agréable du livre.
En matière de contraste et d’incongruité, l’histoire n’est pas en reste : le début peine vraiment à se lancer et laisse une désagréable impression de vide. La trame tâtonne et l’on papillonne d’un personnage à l’autre en cherchant vainement où l’auteur désire en venir ; les protagonistes eux-mêmes, tout à leur petite vie quotidienne, ne semblent pas se préoccuper de faire ou non progresser le récit. Heureusement, leur profondeur et la pertinence des dialogues sauvent le lecteur de l’ennui, même si l’on peut déplorer un ton parfois ampoulé. Cela s’améliore véritablement par la suite lorsque l’élément fantastique se met en place et que la mise en abîme passe de l’anecdote amusante à la perspective vertigineuse. Notons au passage une certaine érudition de l’auteur en matière de symbolisme ou tout du moins son habileté à tirer des interprétations convaincantes de figures a priori anodines. La tension progressera ainsi jusqu’à une chute que ne renierait probablement pas Christopher Priest.
Mais chut ! N’en dévoilons pas plus d’un premier roman aussi spontané qu’initiatique dont les imperfections ne parviennent pas à masquer le potentiel de son ambitieux auteur.
Michaël F.

Iceberg Éditions
ISBN : 2-915763-04-6 – 300 pages
gollut.iceberg-editions.com

Cibylline

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