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"Feuilles de laiton et reliure d’ombre" de Glen Cook

Le sous-titre nous l’indique : Garrett est détective privé. Et comme on peut s’en douter, c’en est un respectueux des canons du genre : ouvertement cynique mais secrètement idéaliste, amateur de femmes fatales qui, à n’en point douter, finissent toujours par le tromper sans qu’il leur en tienne vraiment rigueur. Il affectionne l’alcool (mais la traditionnelle bouteille de whisky ne se trouve pas dans le tiroir de son bureau, car il lui préfère la bière, qu’il boit par fûts entiers) et joue volontiers de ses poings endurcis par cinq ans dans le corps des marines. Un dur à cuire avec du cœur, en somme. Le hic, c’est qu’il s’est trompé d’univers : à la place du Chicago des années vingt, il opère à Tonnefaire, une cité tout ce qu’il y a de plus fantaisiste, au sens fantasy du terme. Elfes, nains, trolls, sorciers et dragons sont donc de la partie, et l’enquête, immanquablement, gravite autour d’un artefact magique auquel l’Anneau Unique n’a rien à apprendre.
Le Livre des Ombres, donc, a des pages de laiton. Surtout, il permet à quiconque lit l’une de ses pages de se métamorphoser en la personne qui y est décrite. Sorcier, éphèbe, superbe rouquine, génie du mal ou gentleman cambrioleur : il suffit de trouver la bonne page. Le pouvoir immense de ce tome fait envie à, eh bien, tout le monde en fait, depuis son propriétaire légitime jusqu’au patron de la pègre locale en passant par la sorcière qui l’a écrit. Et Garrett de se retrouver mêlé jusqu’au cou dans cette affaire, vous l’aurez deviné, parce qu’une femme fatale, rousse et pulpeuse, l’y a plongé.
Je m’attendais à trouver quelque chose de vaguement humoristique, avec un jeu sur les anachronismes et plus généralement le décalage d’univers ; un peu comme, par exemple, Terry Pratchett (Le guet des orfèvres, Ronde de nuit, …) ou Malcolm Pryce (Aberyswyth mon amour) le font. En ce sens, j’ai été déçu : le livre se prend tellement au sérieux qu’il faut faire des pauses pour se rendre compte du ridicule de la situation. Pour le coup, le roman est un peu le cul entre deux chaises : la suspension d’incrédulité ne marche pas tout à fait à cause du décalage, mais l’auteur se refuse à jouer avec ce même décalage. Dommage : de ce fait, il est difficile de rentrer dedans, et d’y demeurer. Peut-être est-ce parce qu’il s’agit du cinquième tome d’une série, et donc une déclinaison de codes qui ont été fixés auparavant.
Pour le reste, Cook est compétent. L’intrigue est fouillée, les rebondissements sont nombreux, Garrett s’en prend plein la tronche et noie son malheur dans l’alcool ; les femmes sont belles et (globalement) inaccessibles, les protagonistes foisonnent. Compétent, mais sans plus : pour piètre lecteur de polar que je sois, le fin mot de l’affaire m’est apparu très tôt. On regrettera également le principe de « l’homme-mort », partenaire très intelligent mais immobile (car décédé) de Garrett : pour la peine, toute la réflexion autour de l’intrigue se fait au cours de dialogues entre eux deux. Cela fait que l’avancement de l’enquête est exposée au lecteur d’une façon fort artificielle.
Au fond, un livre surtout à conseiller aux amateurs de polars fantastiques, surtout s’ils ont déjà lu (et aimé) les précédents opus. Le reste du monde pourra passer son chemin sans rater grand’chose.

–Fifokaswiti

Éditions l’Atalante – collection La dentelle du cygne
16 €
ISBN : 9782841724109

Cibylline

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