« Frontière sanglante – Vicki Nelson III » de Tanya Huff
Une momie revient à la vie au musée de Toronto. Semant les morts sur son passage, l’être millénaire compte bien s’emparer du Canada. Rien que ça !
C’est la première fois que Vicki Nelson et ses amis/amants vampire et flic ont affaire à aussi forte partie. Et le résultat est bien meilleur. « Meilleur est le méchant… »
Le démonologue amateur du premier tome et le tueur de loups-garous du second étaient de la petite friture comparés au très gros poisson qu’ils affrontent cette fois. On peut même parler d’un véritable requin !
Pensez donc ! L’ennemi du jour n’est rien moins qu’une momie revenue à la vie. Pas une momie-zombie en bandelettes comme dans nombre de séries B d’épouvante, mais une momie intelligente et ambitieuse, celle d’un grand prêtre égyptien millénaire qui s’empare des âmes et des pensées de ceux qu’il soumet à la force de sa volonté. En cela, le méchant évoque un peu le druide de Zombie Island.
La momie n’hésite pas à tuer des enfants pour absorber leur énergie vitale et prend progressivement le contrôle des forces de police de Toronto dans le but avoué de retrouver le pouvoir qui avait été le sien du temps de sa splendeur. Ce, afin de replacer sur son socle le dieu cruel et oublié dont elle est la fidèle servante.
Frontière Sanglante est un bouquin très prenant, très réussi, qui va droit au but, chose rare aujourd’hui. Remarquons une nouvelle fois le sens aigu du montage parallèle, hyper cinématographique, chez l’auteur canadienne.
Tanya Huff fustige une nouvelle fois le fanatisme religieux : après l’inquisition dans Le Prix du Sang, le fou de Dieu dans Piste Sanglante, ici le méchant est carrément un prêtre ! Le fait qu’il appartienne à une religion antique ne change rien à la chose. Un tel acharnement n’a rien d’un hasard. Comme quoi, même dans une œuvre que d’aucuns jugeront mineure (Pourquoi ? parce qu’elle est « juste » efficace dans la limite de ses ambitions ?), un bon auteur peut s’exprimer sur des sujets forts, qui lui tiennent à cœur. Ce qui n’empêche pas, car Huff sait aussi manier le paradoxe, son héros vampire de se rendre à l’église pour y trouver du réconfort !
Rien de stupide là-dedans : ça fait belle lurette que romanciers et cinéastes ont brisé la tradition qui veut que le vampire soit terrifié par la croix. Pourquoi le serait-il systématiquement puisque ce mort-vivant si particulier n’est pas forcément voué au mal ? (N’est-il pas simplement au sommet de la chaîne alimentaire ?)
Le vampire est une créature imaginaire. En tant que tel, il est malléable à merci par tout créateur qui en accapare. Qu’il craigne l’ail ou pas, qu’il brûle au soleil ou pas n’a guère d’importance. Sa caractéristique fondamentale réside plutôt dans son côté parasite – pas forcément en tant que buveur de sang : il existe des vampires psychiques ! Encore que même sur ce point, il y a des vampires qui n’absorbent que du sang animal ou issu d’un donneur consentant…
On peut donc très bien, à l’instar de Tanya Huff, imaginer un vampire chrétien, aimant Dieu. Comme un vampire sataniste, certes !
Superbe idée aussi, peut-être vue ailleurs, le vampire de Tanya Huff rêve du soleil, une chose qui n’arrive guère qu’aux vampires sur le point de se suicider, lassés par des siècles de solitude.
Notons également une belle confrontation vampire/momie, avec un dialogue ciselé, celui de deux immortels que tout sépare… Tout ? La momie tente évidemment de faire basculer le bon vampire du côté obscur.
Vicki Nelson elle-même en voit de toutes les couleurs puisqu’elle se retrouve temporairement en tôle et sans lunettes – rappelons que notre infortunée héroïne pourrait bien devenir aveugle… En prison, avec ceux qu’elle a enfermés lorsqu’elle était flic ! La séquence
est longue et douloureuse et on souffre avec elle. Pour les connaisseurs, on se croirait dans un film de Prisons de Femmes, sans l’érotisme propre au genre…
Tanya Huff soigne son final quand nos amis débarquent au sommet de la fameuse tour de Toronto (mais si, vous savez, on la voit souvent dans les New Avengers), en pleine invocation quasi lovecraftienne.
La fin est ouverte : si le prêtre est vaincu, le dieu reste évidemment actif.
Plus dangereux qu’avant : maintenant, des gens croient en lui, et le craignent.
Éditions J’Ai lu
315 pages – 6,70 €
ISBN 978-2-290-02500-0