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« Furies déchaînées » de Richard Morgan

furiesdechaineesTroisième volume des aventures de Takeshi Kovacs, « Furies Déchaînées » fait suite à « Carbone Modifié », premier roman de Richard Morgan qui a fait passer ce dernier du statut d’auteur débutant à celui de professionnel reconnu grâce à l’attribution du prix Philip K. Dick 2003 et, surtout, à l’achat des droits d’adaptation cinématographique par le producteur de Matrix, et à « Anges Déchus », jugé moins percutant que son prédécesseur.
Nul besoin d’avoir lu les deux autres romans pour attaquer « Furies Déchaînées ». Il suffit juste de s’accrocher un peu plus. Car, que l’on soit vétéran ou nouveau venu dans le monde de Takeshi Kovacs, le premier abord est rude. Entre un vocabulaire jargonneux en diable, une trame tendance tortueuse, des dialogues elliptiques et une pléthore de pistes scénaristiques lancées pêle-mêle, le lecteur se retrouve vite à froncer les sourcils et à revenir en arrière pour voir s’il a raté un passage important. Seul l’habitué de la littérature cyberpunk hard-boiled se retrouvera en terrain familier et dévorera sans faillir ce roman en sachant que tenants et aboutissants se dévoileront en temps voulu.
Que l’influence de William Gibson et Cie soit on ne peut plus prégnante dans « Furies Déchaînées » ne doit pas nous faire oublier que ce roman relève aussi du neo space opera, avec son Protectorat des Nations Unies s’étendant sur une partie de la galaxie, ses mondes extra solaires variés et ses artefacts mystérieux laissés en héritage par les Martiens. Ce mélange des genres n’est pas une nouveauté en SF, mais Morgan se démarque nettement de ses confrères avec son style sans concession et sa complexité narrative qui, davantage qu’un simple hommage aux maîtres du cyberpunk, constitue une véritable réinvention formelle. Quant au fond, il est à l’avenant. Le protagoniste central et point de vue narratif de ce roman est encore et toujours Takeshi Kovacs, l’un des anti-héros les plus bourrins que la SF ait porté. Il a pris sa retraite des Diplos (raccourci pour Corps Diplomatiques), cette unité de combattants d’élite chargée d’infiltrer et d’éliminer, essentiellement de manière violente, la moindre velléité d’instabilité au sein des planètes membres du Protectorat.
Kovacs se retrouve donc sans emploi sur Harlan, sa planète natale constituée majoritairement d’océans. Sans emploi mais pas sans occupation puisqu’il mène une vendetta personnelle et sanglante contre les prêtres de la Nouvelle Apocalypse qui lui ont enlevé un être cher. Malgré un début de trame qui sonne comme un film d’action de série B, l’histoire va rapidement se complexifier avec l’arrivée de Sylvie Oshima, une tête de Contrôle déClass, qui en aidant Kovacs à se trouver une nouvelle enveloppe corporelle plus performante et moins abîmée, va involontairement l’amener à contrarier ses principes de Diplo et à participer aux prémices d’une révolution contre le pouvoir en place. Ce faisant, ce sera l’occasion pour le lecteur d’en apprendre plus sur le passé torturé de Kovacs qui, non seulement va affronter certains de ses vieux démons mais aussi une copie illégale de sa personnalité de jeunesse réenveloppée pour le chasser. Ce sera l’occasion également d’avoir un fascinant aperçu de l’histoire unique de Harlan largement modelée par des siècles de tyrannie et par la présence d’artefacts martiens encore actifs.
On l’aura compris, ce roman est très riche et bien plus subtil que ce que sa couverture (hors sujet) et ses premières pages ne le laissent supposer. Il en est de même pour son protagoniste principal dont la personnalité de brute revancharde devient de moins en moins monolithique au fil de la lecture et laisse apparaître de petites failles et contradictions ainsi qu’un désenchantement nourri par une puissante amertume. Que le lecteur se rassure : malgré ces quelques approfondissements Kovacs n’en reste pas moins ce psychopathe sans état d’âme qui a fait le succès et le charme de la trilogie de Richard Morgan.
Voici donc un livre plein d’action et de rebondissements, qui, s’il ne renouvelle pas vraiment le paysage SF actuel, porte en lui une fraîcheur et un sens du récit qui revivifient le genre.

Éditions Milady
Traduction : Cédric Perdererau
668 pages – 8 €
ISBN : 978-2-8112-0212-5

Michaël F.

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