« Hadès Palace » de Francis Berthelot
Début 1979, à Paris, Maxime Algeiba, contorsionniste extraordinaire, se produit au Piano-Strass. Un soir, on lui fait une offre mirifique : un contrat d’un an pour le mythique Hadès Palace, cette demeure magnifique qui regroupe restaurants, salles de spectacle, hôtels, au fin fond du Gers, et où les grands de ce monde se pressent, avides d’y savourer les plaisirs qui leur sont proposés. Maxime ne peut laisser passer une telle chance, d’autant moins qu’il apprend que ses amis Lon Orfelt et Lys d’Eurcy sont déjà engagés. Ce n’est qu’une fois le contrat signé, après avoir reçu une injection d’un liquide étrange, pourpre, et après avoir rencontré Sendra, sa nouvelle partenaire, que Maxime découvrira que le Palace est bien plus que ce qu’il y paraît, et qu’on n’en sort pas si aisément. Pire : que les artistes insatisfaisants sont recyclés au « deuxième cercle » et que certains n’en reviennent jamais. Or, les clients du Palace et Bran Hadès, son directeur, sont extrêmement exigeants.
Je vous préviens d’emblée : lire du Berthelot comporte de sérieux inconvénients. Tout d’abord, quand on commence, on n’arrive pas à s’arrêter tant sont prenants l’intrigue, le style, l’émotion. L’auteur sait tellement bien faire passer, donner, ce qu’éprouvent les personnages, qu’on ne peut que s’identifier à eux, ressentir leurs douleurs comme leurs joies. Enfin, la lecture d’un roman de Berthelot – et peut-être particulièrement de celui-là – se fait à différents niveaux tant s’entremêlent les références mythiques, culturelles, historiques, avec un art particulier de la métaphore et une intrigue absolument passionnante.
Le début de Hadès Palace, quand Maxime joue sur la légèreté, est traité d’un ton badin, drôle. Après un passage pendant lequel on se demande pourquoi les artistes acceptent leur sort – mais une explication est donnée, à laquelle on ne peut qu’ajouter qu’en bien des époques, les humains ont accepté l’Innommable -, à mesure qu’on avance, l’action se fait de plus en plus tragique, et le ton du récit de même. Les allusions à la mythologie grecque – Hadès – et à l’antiquité celte, alliées au réalisme des scènes, contribuent à créer un fantastique d’une profonde originalité.
« Le beau, le vrai, l’extrême », c’est ce qu’on exige des artistes, quoi qu’il leur en coûte et tant mieux s’il leur en coûte ! Il leur faut se mettre en danger de façon permanente, ce que Maxime a toujours refusé. Ceci peut être interprété comme une métaphore de l’exigence de l’écriture. La discipline qu’on impose aux artistes, déjà sélectionnés pour leur talent hors-pair, rappelle aussi une certaine discipline aveugle, celle qui broie corps et cerveaux, et dont souffre tout écolier. Mais on peut lire, encore, dans ce livre, bien autre chose.
La construction, tout d’abord, en trois parties, une pour chacun des trois cercles de l’enfer de Bran Hadès, n’est pas sans évoquer Salo ou les 120 journées de Sodome, de Pier Paolo Pasolini. Heureusement, là où le film de Pasolini plongeait le spectateur dans la désespérance la plus noire, le roman de Berthelot s’efforce de redonner l’espoir au lecteur. Ensuite, les artistes de l’Hadès Palace ne sont pas sans rappeler les athlètes de l’île, dans W ou le souvenir d’enfance, de Georges Perec. Les uns, comme les autres, apparaissent comme une métaphore des déportés des camps de concentration nazis, mais aussi de tous ceux qu’on torture au nom d’un soi-disant idéal de beauté, d’esthétisme, d’ordre. Alors, peu importe que Berthelot ait eu ces œuvres à l’esprit quand il a écrit Hadès Palace, peu importe, même, qu’il ait réellement songé aux camps de concentration, un fait demeure : la force de son écriture est telle qu’on ne peut, en le lisant, que réagir pleinement, corps et âme, à son récit, avec nos propres références.
Que les lecteurs de fantastique qui n’ont pas envie de se prendre la tête se rassurent, toutefois. On peut parfaitement lire Hadès Palace comme la très bonne fiction que c’est, sans se sentir obligé d’y voir autre chose, et en y prenant un grand plaisir.
Pour ce sixième volume du Rêve du Démiurge, il n’est pas nécessaire d’avoir lu les précédents tomes, pas même Le Jongleur Interrompu ou Le Jeu du Cormoran qui avaient pour protagonistes d’autres membres de la famille Algeiba. Pour le moment, les romans du cycle sont indépendants. Mais après la lecture de Hadès Palace, on est remué au plus profond du coeur, avec l’envie de lire d’autres romans de Francis Berthelot, à commencer, justement, par les autres volumes du cycle.
Éditions Le Bélial
270 pages, 14 €
ISBN : 978-2-84344-068-7