« Hide*Out » d’Andreas Eschbach
On découvrait dans Black*Out Christopher Kidd, un jeune hacker surdoué ayant contribué à l’élaboration de l’interfaçage homme/machine à la fois en tant que développeur et en tant que cobaye ; la Cohérence, cette organisation composée d’hommes et de femmes dont les implants cérébraux fonctionnent en réseau et dont les identités ont fusionné au sein d’une entité consciente pratiquement omnipotente et omnisciente ; Jeremiah Jones, farouche opposant à l’invasion grandissante du quotidien par la technologie et faussement accusé de terrorisme par le FBI suite aux manipulation de la Cohérence.
Hide*Out nous narre la suite des péripéties de Christopher Kidd et de ses amis, les enfants de Jeremiah Jones, dorénavant en fuite à travers les États-Unis avec toute la police du pays aux trousses et surveillés par la Cohérence via la moindre onde radio, la moindre utilisation du réseau Internet et le moindre satellite espion.
Terminée la narration sous forme de flash-back du premier tome. Les bases de l’histoire sont désormais posées et sa trame peut désormais prétendre à une linéarité plus propice à l’étiquetage « thriller » qu’on lui a peu ou prou apposé. Cependant si le premier tome et sa chronologie lâche avaient relativement déçu les lecteurs en attente de suspense, le deuxième ne fera guère plus d’heureux tant les passages angoissants brillent par leur rareté et les quelques cliffhangers auxquels s’est soumis l’auteur semblent artificiels.
Eschbach n’est clairement pas un écrivain de polars et s’attache davantage à rendre son histoire crédible que spectaculaire. Ainsi travaille-t-il en premier lieu à maintenir la suspension d’incrédulité du lecteur en multipliant les pistes de réflexions et les références scientifiques ainsi qu’en employant une terminologie pointue qui transpire la documentation en amont. Dans le même esprit, il nous dépeint des personnages triviaux plutôt qu’héroïques. Même si les dialogues n’échappent pas toujours au piège du didactisme, trame de science-fiction oblige, les personnalités des protagonistes ainsi que leurs interactions ont un indéniable parfum de vécu. L’anxiété et la lassitude des compagnons de Jeremiah Jones, obligés de bivouaquer loin de toute civilisation pour échapper à la vigilance de leurs ennemis, nous font presque oublier le courage de leur rébellion. L’inaptitude relationnelle de Christopher Kidd transpire à chacune de ses tentatives de communication et complique ses tribulations. Madonna Deux-Aigles, l’amie de Serenity Jones, est une artiste confidentielle qui penche plus du côté de la recherche de reconnaissance à tout prix et de l’égocentrisme que de celui de la poétesse maudite au cœur aussi grand que son audience est mince. Bref, ne vous attendez pas à du romantisme, au sens premier du terme, chez les personnages de Hide*Out. Même le timide début d’idylle qui se noue entre Christopher Kidd et Serenity Jones est traité de manière hésitante et dépassionnée par les deux jeunes gens. En conséquence de quoi le charisme est l’un des grands absents de ce roman.
Difficile de ressentir de l’empathie à l’égard des protagonistes. Christopher Kidd, par exemple, est un adolescent tellement effacé et morne qu’il donne l’impression d’être un figurant secondaire du récit. Il faut avouer que le scénario type road-movie de Hide*Out dans lequel les personnages sont en fuite permanente face à un adversaire aussi implacable que surpuissant décuple le sentiment d’inertie et d’anti-héroïsme qui émane de leurs personnalités. Le souci est qu’à trop faire dans le pseudo réalisme, Eschbach en oublie le minimum syndical en matière de divertissement. C’est l’un des points qui, à mon sens, font que ce roman n’est pas destiné à un public adolescent, contrairement à ses apparences. Tout y est trop froid, trop intellectualisé. Jusqu’aux rares scènes d’action qui se révèlent mollassonnes et rapidement réglées, voire qui plombent l’ambiance au lieu de l’alléger, comme la confrontation sanglante dans la scierie.
Quant au côté instructif du récit et aux analyses de société qu’il encourage (le rapport à l’omniprésence de la technologie, l’argument que la Cohérence pourrait être la prochaine étape dans l’évolution de l’Homme), il est malheureusement grevé par un manque de pédagogie et de transparence au niveau d’une partie des explications. Le roman se contente de déployer du jargon technique, notamment lorsqu’il est question d’informatique, sans se soucier du bagage de connaissances du lecteur. Du coup on ne sait pas si c’est parce que l’auteur est tellement pris dans son sujet qu’il ne parvient plus à se mettre au niveau du néophyte ou si c’est juste qu’il recouvre les lacunes de sa propre compréhension avec du vernis terminologique.
Tous ces points ne doivent cependant pas faire oublier que l’auteur a une plume très habile et qu’il possède suffisamment de métier pour maintenir l’intérêt en éveil. Le roman se lit plutôt bien et laissera des impressions marquantes et l’envie d’approfondir le sujet. S’il n’est pas vraiment original, le thème est traité sous un angle inédit et jouit de s’inscrire dans la contemporanéité plutôt que de partir dans des extrapolations de type cyberpunk.
À ne pas choisir la facilité, Eschbach semble autant exiger de son lecteur que de lui-même mais le résultat, une fois le livre fermé, en vaut la peine. On pourrait comparer ce livre à un plat à la saveur subtile mais si peu relevé et sophistiqué que le convive se souviendra autant de son manque d’enthousiasme à sa consommation que de son palais ravi à sa dernière cuillérée. On se prend tout de même à espérer qu’Andreas Eschbach découvre un jour le sel.
Éditions L’Atalante
331 pages – 19 €
ISBN : 978-2-84172-604-2