« Invulnérable : La Flotte Perdue – Par-delà la frontière 2 » de Jack Campbell
Dans la famille des sagas de SF militaire interminables, La Flotte Perdue creuse lentement mais sûrement sa niche. Marchant sur les pas de son illustre aînée Honor Harrington, elle n’en finit pas d’opposer de nouveaux adversaires et de nouvelles situations inextricables à son héros l’amiral John Geary.
Celui-ci, revenu d’entre les morts après être resté un siècle en hibernation dans une capsule de sauvetage et être devenu un mythe, a sauvé la flotte de l’Alliance bloquée au cœur des mondes Syndics et est parvenu à obtenir la reddition de ses derniers. Bien qu’adulé par le peuple et par la grande majorité de l’armée, Geary est devenu un sujet d’embarras pour le gouvernement de l’Alliance, trop consciente que l’éclatante victoire de l’amiral a mis en lumière son incompétence, voire son indolence, dans la gestion de ce conflit centenaire.
Au prétexte d’une nouvelle menace sur l’humanité avec la découverte d’une race extra-terrestre belliqueuse, les Enigmas, les dirigeants de l’Alliance renvoient immédiatement Geary et sa flotte, à peine remise de l’épreuve qu’elle vient de traverser, en mission. Cette fois-ci il s’agit de découvrir qui sont exactement ces êtres mystérieux et quelles sont leurs motivations et les limites de leur territoire.
Soupçonnant qu’on cherche à se débarrasser définitivement de lui et de ses loyaux officiers en les dépêchant chez un ennemi inconnu avec des vaisseaux fatigués et des objectifs pratiquement irréalisables, Geary n’a d’autre choix que de se plier aux ordres pour préserver l’unité de l’Alliance et avec l’espoir que son sens de l’improvisation tactique et l’efficacité de ses subordonnés le sortiront de cette nouvelle position délicate.
Après un premier cycle de six tomes marqué par un certain souffle épique mais dont les batailles se révélaient vite redondantes, le nouveau cycle de La Flotte Perdue, dont c’est ici le deuxième volume, apportait une fraîcheur bienvenue avec son manichéisme moins pesant, ses extra-terrestres plutôt bien pensés et la diminution de la fréquence des combats au profit des interactions entre les personnages et de l’émergence de problématiques nouvelles. L’auteur continue sur la même voie dans Invulnérable en ajoutant des péripéties inédites comme la lutte contre l’obsolescence galopante des vaisseaux, la capture d’un cuirassé ennemi et les difficultés à le faire voyager au sein de la flotte pour le ramener à l’Alliance, ou l’intervention un peu vaudevillesque du mari de Victoria Rionne, jaloux de la fugitive relation que celle-ci a eu avec Geary, et obligé de communiquer avec l’amiral à cause du traumatisme qu’il a subi en tant que prisonnier de guerre et de sa connaissance d’un secret d’état.
Qui plus est, aux Enigmas s’ajoutent non pas une mais deux races extra-terrestres, chacune avec ses caractéristiques propres et sa petite originalité qui ne manquera pas de surprendre le lecteur. Les combats ont désormais pratiquement disparu, un comble pour de la SF militaire. Les deux escarmouches rescapées sont traitées rapidement et n’offrent même plus un semblant de suspense, l’auteur semblant avoir tout dit dans son cycle précédent et hésitant manifestement à réduire davantage la taille de la flotte de Geary.
Le traitement des relations entre les personnages est le grand gagnant de ce tome, les échanges entre Tania Desjani et John Geary monopolisant une bonne partie du roman. Cependant ceux-ci deviennent vite répétitifs, à l’instar des combats spatiaux dans le premier cycle. On se demande d’ailleurs quel attrait le héros trouve à sa femme tant elle passe de temps à lui lancer des piques vachardes, lui préfère le croiseur de combat qu’elle commande, et s’interdit la moindre manifestation de tendresse et de complicité pour sauver les apparences hiérarchiques. Même s’il s’agit de la vision que l’auteur a de la vie maritale au sein de l’armée, ces passages alourdissent la lecture au lieu de l’alléger (le capitaine Desjani tend à être revêche et maussade en dehors des combats) et donnent une piètre image de John Geary qui perd sa façade audacieuse et volontaire face à son épouse.
Si le premier tome de ce cycle était encourageant, le soufflet retombe à plat dans cette suite qui révèle rapidement les limites de l’auteur en matière d’innovation et de psychologie des protagonistes. Jack Campbell n’est pas David Weber, l’auteur des Honor Harrington, et délaye son univers au lieu de l’enrichir avec cette succession de tomes. Les quelques nouveautés de chaque roman (ici, les deux nouvelles races extra-terrestres) sont trop insuffisamment exploitées pour redonner du souffle à son histoire.
Autre ombre au tableau, la traduction française révèle certaines failles peu pardonnables, comme ce fréquent emploi à contresens de l’expression marcher sur les brisées, le choix des termes difficultueuses et prendre langue totalement incongrus dans une histoire de SF militaire ou encore cette traduction littérale de l’expression idiomatique « Fire in the hole ! » par « Feu dans le trou ! » qui est un sommet de ridicule. Un livre peu enthousiasmant, donc, qui décevra autant les amateurs de batailles épiques et de stratégie militaire que les fans de space operas à la recherche d’un univers fouillé et consistant.
Éditions L’Atalante
Traduction de Frank Reichert
446 pages – 21 €
ISBN : 978-2-84172-617-0