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« La Brigade chimérique IV » de Fabrice Colin et Serge Lehman

La Brigade Chimérique nous revient avec ses super-héros de la vieille école. Les enjeux se précisent puisqu’on découvre un peu plus le plan du diabolique docteur Mabuse. À la tête d’une tripotée de nazis, l’hypnotiseur génial fait des expériences sur des prisonniers qui peuvent évoquer celles qui furent hélas réalisées par les vrais médecins nazis sur des déportés. C’est l’homme-tigre Félifax qui espionne Mabuse. Cette fois, alors qu’il nous avait déçu lors de son précédent combat contre des vampyres, la créature féline inventée par le fils de Paul Féval a paradoxalement, en tant que simple espion, un rôle plus important puisque c’est grâce à lui qu’on en apprend enfin davantage.
Pendant ce temps, le Nyctalope et un héros britannique tentent de sceller une alliance (contre nature ?) avec Nous Autres (l’URSS de cette uchronie). Ce, afin de pouvoir faire face à la menace nazie (qui accueillent un homme-loup et une vampire dans leurs rangs !). L’URSS serait peut-être dirigée par d’autres savants fous comme Moreau ou Cornélius (de Gustave Le Rouge, dont il faut lire absolument les impressionnants méfaits)… Malheureusement on n’en saura pas plus pour l’instant : on rêverait d’une lutte entre savants mégalomanes !
À Paris, pendant ce temps, les super-héros de la Brigade Chimérique libèrent, au terme d’une scène d’action rondement menée, un Gregor Samsa mourant ( le célèbre héros kafkaïen de La Métamorphose) ainsi qu’une sorte de vampire quasi lovecraftien qu’on verra hélas fort peu. Les dernières paroles de Samsa plongent le lecteur et les personnages dans un mystère qui s’épaissit encore.
On peut déplorer la quantité de trop petites cases par page, c’est un peu fatiguant, même si les dessins sont globalement à la hauteur. Cette réserve faite, on se plongera avec délice dans ce qui reste l’un des très beaux hommages à la littérature populaire française du début du vingtième siècle, mené par des connaisseurs et, sans doute, de vrais fans (Lehman et Colin). Certains regretteront aussi le grand nombre de personnages qui oblige les auteurs à en négliger certains au profit d’autres. Cela paraît obligatoire avec un concept qui fait la part belle à la citation et à l’hommage constant. On l’accepte ou pas. Et puis, les vrais héros de la série sont ceux qui ont été créés par les scénaristes, à savoir l’incroyable Brigade Chimérique elle-même !
Pour en revenir aux méchants de l’histoire, il aurait été difficile d’en choisir de pires. Les nazis ont été pleinement intégrés dans la culture populaire depuis belle lurette. Le fanzine Nagual avait d’ailleurs consacré un intéressant dossier à ce sujet. Superman et Capitaine America les ont affrontés pendant la guerre, des super espions capitalistes ont fait de même à partir des années cinquante en luttant contre leurs héritiers (quand ils n’exterminaient pas, avec la même conviction, d’affreux communistes) ! Plus récemment, Indiana Jones, lui-même hommage aux pulps et aux sérials, les a largement combattus pour le plus grand plaisir des nouvelles générations. Citons aussi les romans d’horreur, La Lance de James Herbert ou L’Heure du loup de Robert McCammon, peut-être influencés à leur tour par les aventures du héros au fouet. Parmi des éléments à même de séduire la littérature et le cinéma d’évasion : leur goût pour l’occulte, étudié dans Le Matin des Magiciens puis Planète, et leur sens du décorum : croix gammées, runes, têtes de morts et vêtements noirs des SS, cérémonies grandioses…
De très bons méchants potentiels on le voit, qui valent bien l’Empire de George Lucas !
Comme disait Hitchcock, « meilleur est le méchant, meilleur est le film ». Un adage aussi valable pour une B.D comme La Brigade Chimérique, même si ce tome IV ne les exploite pas encore assez.

Éditions L’Atalante
11 €
ISBN : 978-2-84172-496-3

Patryck Ficini

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