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"La Cité de Perle – Les Guerres Wess’har tome I" de Karen Traviss

S’il est un truisme, c’est d’affirmer que les romans de science-fiction parlent plutôt de l’époque où ils sont écrits que du futur. Dans les années 60 et 70, tout ne parlait que de sexualité ; aujourd’hui, l’écologie est à la mode. La Cité de Perle est donc un roman de SF écolo. Les humains ont envoyé vers Cavanagh, une étoile prometteuse, voilà fort longtemps, une mission constituée – on ne saura jamais pourquoi – de Chrétiens intégristes équipés de quelques robots terraformateurs, d’une banque de données génétiques exhaustive, et d’une foi inébranlable. Deux siècles plus tard, on y envoie à nouveau une mission, mi-militaire et mi-civile (des scientifiques dépêchés là par des mégacorporations de biotechnologie, qui financent le tout), pour savoir ce qu’il est advenu de la première. Cette deuxième mission est dirigée par Shan Frankland, officier de la police environnementale, qui a accepté le poste suite à un briefing refoulé, c’est-à-dire que le détail de ses objectifs est enfoui dans son subconscient et ne ressortira que lorsque cela sera nécessaire.

Il s’avère rapidement que la planète principale est habitée ; qui plus est, elle est un protectorat des Wess’har, une sorte d’alien écolo, dont la principale préoccupation est de sauvegarder la biodiversité et l’équilibre de la Nature. Une petite colonie de fous de Dieu a été autorisée à s’installer, mais doit suivre des contraintes draconiennes : recyclage de tout ce qui peut l’être (des bouteilles de vin de messe jusqu’aux cadavres), obligation de construire en sous-sol pour ne pas balafrer le paysage, régime végétarien strict obligatoire, etc.
Frankland, dont le passé contient des interactions troubles avec des groupuscules écolo-terroristes (les infiltrait-elle ou les aidait-elle ?), se voit donc obligée de contenir l’enthousiasme de ses passagers scientifiques et d’apprendre à gérer la vie dans cet environnent très particulier, sous la menace d’extraterrestres prêts à « effacer » toute présence humaine sur cette planète au moindre dérapage. Et ce, jusqu’à ce que ses objectifs de mission lui revienne, et qu’elle sache quoi faire. Au passage, elle va nouer et dénouer des relations avec les militaires sous son autorité (notamment Lindsay Neville, pilote et capitaine de la Navy), les scientifiques, les colons, et surtout Aras, le Wess’har supervisant la colonie humaine, qui porte un lourd fardeau qui l’éloigne de ses congénères. Pendant une dizaine de mois, on va suivre Frankland, Neville, Aras et les autres dans l’exploration de la planète et de son lourd passé (elle a déjà subi des invasions de races extraterrestres belliqueuses), de l’étrangeté d’une vie ascétique et cent pour cent écologique, et surtout de leurs états d’âme. Voilà pour l’histoire.
Mais cela est-il bien fait ? Ça dépend. Objectivement, c’est bourré de défauts : l’intrigue est cousue de fil blanc (le « briefing refoulé » est un moyen totalement artificiel de garder le lecteur en haleine, surtout quand on sait enfin la teneur des instructions), les personnages sont assez archétypaux (on a la militaire qui obéit aux ordres, la flic dure avec un fond idéaliste, tout un bataillon de scientifiques qui refusent toute limitation d’ordre éthique dans leurs expérimentations, etc.), le style est assez plat voire mauvais, avec très souvent des éléments décalés qui interviennent à des moments incongrus. En refermant le livre, on a le désagréable sentiment que tout cela n’est qu’une longue introduction : à la fin, les pièces sont posées pour un affrontement entre deux races extraterrestres philosophiquement opposées, les humains étant répartis dans les deux camps, deux des personnages principaux, amis, ayant choisi des camps opposés.
Mais pour tous ces défauts, après cette lecture, on a encore envie de lire la suite. Peut-être parce que la psychologie des personnages, si elle n’est guère originale, est suffisamment creusée (une bonne moitié des quatre cent et quelques pages du bouquin est dédiée à leurs conflits moraux) pour qu’on finisse par s’y attacher, à moins que ce ne soit parce que Karen Traviss est relativement douée pour projeter les débats de notre monde dans son univers, et que l’on souhaite savoir qui des éco-terroristes ou des « l’humanité d’abord, les petites fleurs on s’en balance » va l’emporter. Au final, je le recommanderais volontiers à des lecteurs adolescents ou jeunes adultes, plus aptes à s’enflammer pour de grandes causes que leurs aînés trop blasés, ainsi qu’à glisser sur des défauts de forme qui ennuieraient les esprits chagrins.

— Fifokaswiti

Éditions Milady
Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Cédric Perdereau
ISBN : 978-2-8112-0056-5

Cibylline

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