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"La Forêt d’Iscambe" de Christian Charrière

Dans un futur moins lointain qu’il n’y paraît, suite à l’anéantissement de la civilisation par le feu nucléaire, les hommes se sont reconstitués en sociétés quasi-féodales dans ce qu’il reste de terres hospitalières en France. La majeure partie du pays est dorénavant recouverte par la sombre forêt d’Iscambe, où nul n’ose s’aventurer. La nature et la féerie y règnent en despotes absolus, et les cris effrayants qui s’y font entendre et créatures géantes entr’aperçues ont tôt fait de décourager les éventuels téméraires. Seul It’van ne semble pas la craindre. Pupille du roi Tanguy qui gouverne la vallée d’Émeraude jouxtant la forêt, le jeune homme va avoir l’occasion de mettre son courage à l’épreuve en aidant deux ermites, en quête de la sagesse des anciens, à y pénétrer. Au bout du voyage il y a Paris, la mythique cité du savoir et de la lumière, et la promesse d’un monde peut-être meilleur.

Dés les premières pages, le constat s’impose : la forêt d’Iscambe est un livre de fantasy tel qu’on n’en a jamais lu. Cela tient moins à son background vaguement post-cataclysmique qu’à la manière dont Christian Charrière déroule son histoire. Très lentement. Son récit fourmille de descriptions poétiques, de jeux de mots, d’extrapolations symboliques. Il est rare qu’on sente un auteur se faire à ce point plaisir et lâcher la bride à sa passion pour le verbe. Du coup, la trame apparaît presque comme secondaire et on se surprend rarement à craindre pour l’intégrité des protagonistes. Ces derniers sont d’ailleurs davantage des prosélytes des concepts plus ou moins new-age avancées par l’auteur (développement de la « verticalité » de l’individu au lieu de son « horizontalité », nécessité de s’enfoncer dans les tréfonds obscurs de son âme pour atteindre la lumière…) que des entités dotées d’une réelle personnalité. C’est dommage parce qu’avec un style aussi flamboyant, une histoire plus étoffée et, surtout, rédigée pour elle-même se serait révélée passionnante. L’auteur montre un potentiel de conteur à la croisée de P.J. Farmer et de Jack Vance dans son écriture sensuelle, sa thématique sur l’épanouissement de l’être instinctuel et ses décors profus et exotiques. Mais à flirter obsessionnellement avec des approches telles que la symbologie (la mythologie délirante qu’élaborent les deux ascètes autour des logotypes et noms des anciennes stations-service) et la référence freudienne (le complexe d’Œdipe mis en scène par le roi des termites et par les clapattes brimés), il perd de vue sa narration et une bonne part de ses lecteurs.

Au final nous avons un roman aussi chatoyant que lénifiant. À déconseiller aux amateurs de fantasy commerciale, il n’est pas dit qu’il rencontre son public parmi les lecteurs qui aiment sortir des sentiers battus. Trop long et contemplatif, il est davantage l’œuvre d’un amoureux des belles lettres que des belles histoires. Libre à vous de tenter l’aventure, mais ce livre tend à égarer son monde aussi facilement que la forêt dont il porte le nom.

Michaël F.


Points Fantasy
500 pages – 7.80€
ISBN : 978-2-7578-0327-1

Cibylline

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