« La Longue terre » de Terry Pratchett et Stephen Baxter
On ne dira jamais assez les vertus de la pomme de terre si deux auteurs pareils peuvent s’attacher à son utilisation.
Auteurs très différents ? Oui, par ce qu’ils traitent habituellement et par la manière. Non par la rigueur toute scientifique qu’ils apportent à l’écriture. Parce que l’imagination de Pratchett, si décalée qu’elle puisse paraître, n’empêche pas la cohérence avec laquelle il a bâti le Disque-Monde. Avec cette différence majeure qu’il en efface soigneusement toutes les traces au fur et à mesure de son passage. Impossible lorsque l’on rédige à quatre mains.
On en trouvera donc de gros morceaux dans la Longue Terre après avoir admis le postulat de départ, le Passeur, conçu par Willis Linsay. Un petit appareil fort simple composé d’un boîtier et quelques fils de cuivre fonctionnant grâce à l’énergie d’une pomme de terre, que l’agent Monica Jansson a découvert dans les ruines calcinées qui furent la maison de l’inventeur.
Invention très simple à première vue – un placebo même, qui sait, puisque certains, comme José Valiente ou Sally Linsay, n’en ont même pas besoin – mais qui permet de se transporter dans une terre parallèle.
Non, pas une terre parallèle, une infinité de terres parallèles. Toujours au même endroit mais qui est ailleurs. Il suffit d’un pas de côté. Ainsi, en partant de Madison, dans le Wisconsin, on se retrouve de saut en sauts immobiles… eh bien, à Madison. Sauf que, dans cette terre-là, il n’y a jamais eu de Madison mais des forêts ou… ou… Mieux, encore, il n’y a personne !
Normal que le gouvernement et la police aient l’œil. Que dire d’un voleur qui disparaît brutalement et qui se retrouve ailleurs quelques pas plus loin ? À condition, bien sûr, que ce soit sans objet de fer car le fer ne passe pas (pas de chance pour les boucles de ceinture si elles tiennent votre pantalon). Non qu’il n’en existe pas mais il faut extraire le minerai et le fondre sur place.
Pour les impôts et taxes, pas de problèmes : il suffit que le gouvernement d’un pays s’étende à tout son territoire, parallèles compris. Ainsi tout le monde sera-t-il heureux puisqu’on pourra choisir son lieu de vie et ceux avec qui on la partagera dans une de ces terres. Du moins tant que ceux qui ne peuvent réussir à passer n’en prennent pas ombrage.
Néanmoins, il s’agit d’un tel enjeu que les scientifiques ne peuvent l’ignorer. Si la jeune Sally a pu partir en catimini à la recherche de son père, José Valienté, pisté par l’agent Jansson va être recruté, lui, bon gré mal gré, par l’institut transTerre pour un voyage de reconnaissance en dirigeable à travers toutes ces terres.
Il y sera accompagné et piloté à tous les sens du terme par une IA très particulière, Lobsang, réincarnation affirmée d’un mécanicien tibétain en motocyclettes présentement sous forme de distributeur de boissons.
Leur long voyage, peu mouvementé si ce n’est par les discussions, est censé à usage documentaire. Il s’avère plutôt un jeu d’interrogations sur le monde comme il va, ou pourrait aller.
Il y a du Micromégas dans ces observations qui touchent à tous les domaines. Pratchett a toujours l’art d’aborder les sujets les plus sérieux sous des dehors farfelus. Peut-être est-ce particulièrement visible dans ce roman-ci sous l’influence de Baxter. La réflexion n’y perd pas, ni l’abondance de références, mais on s’amuse beaucoup moins malgré tout.
Éditions L’Atalante
383 pages – 21€
ISBN : 978-2-84172-637-0