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"La Voie des Lucioles " de Fabrice Drouzy et Christophe Pauly

Milla – la Voie des Lucioles 1

Nous sommes au début du XXIème siècle. Deux amis d’enfance, l’un journaliste pour un prestigieux quotidien national français, l’autre pour une chaîne télévisée thématique, prennent une importante décision à l’aube de leur quarantaine : « Et si on écrivait un roman de SF foisonnant et ambitieux ? » demande l’un. « Tope là ! » approuve l’autre.
Ils ne savent pas encore qu’ils vont concocter l’un des plus imbuvables space-opera qu’il m’ait été donné de lire.
Après qu’une météorite géante ait eu la mauvaise idée de faire un ravalement de façade à la Terre en 2200 et des brouettes, l’humanité s’est scindée en deux. D’un côté, les déshérités de la surface qui survivent comme ils peuvent face à un environnement hostile : l’air est chargé de gaz et de cendres, les gens s’entretuent pour quelques hectares de ruines et le ciel est perpétuellement gris comme un lundi ; de l’autre, les civilisés réfugiés sous terre et qui s’ennuient un peu dans leurs fourmilières fliquées à se coltiner de la bouffe synthétique et des holos nulles à la télé.
Les deux personnages principaux représentent chacune des faces de cette morne humanité. D’abord, Milla Coulompaxi, ingénieur en bio-informatique à Lima Nueva : elle est belle, elle est surdiplômée et elle a la pêche. Son rêve, c’est d’être héroïne de roman. En voilà une qui va pouvoir remercier le destin. Ensuite, Alas Kenda, onze ans, chef de bande, prédateur parmi les prédateurs. De temps en temps, il s’assoit et regarde le ciel en se posant des questions métaphysiques sur la vanité de l’existence et sur son rôle dans cette histoire. Les auteurs aussi, d’ailleurs. Ils finiront par mettre ce personnage de côté après avoir débuté le roman en jouant de la succession chapitre par chapitre de ces deux protagonistes : au final, Milla monopolisera le titre et les neuf dixièmes du bouquin ; ça sert d’être blonde.
Une fois débarrassés du background en quelques pages, les auteurs nous entraînent dans une aventure pleine de dialogues et de rebondissements (surtout ceux du lecteur sur son fauteuil). Il faut savoir que le météore (son petit nom, c’est Nessie) ne s’est pas bêtement volatilisé en se crashant sur Terre, comme le nabot rocheux censément responsable de la disparition des dinosaures. Non. Et il en reste un gros bout, même. Jugez du bestiau : enfoncé de trois kilomètres sous terre, culminant à deux kilomètres de hauteur et totalisant dix kilomètres carrés de surface. Je vois que les plus scientifiques d’entre vous commencent à transpirer. Il ne vaut mieux pas que je leur précise que, selon les auteurs : la chute de Nessie a provoqué un hiver nucléaire et que les étoiles vues de l’espace scintillent ; ce serait faire preuve de mauvais esprit.
Bref, Milla est envoyée sur le site du crash parce que les ordinateurs d’analyse qu’elle conçoit déraillent. Elle va découvrir que des ET ont laissé au coeur du météore les plans de fabrication d’une super IA et d’un chouette vaisseau afin qu’on vienne leur faire un petit coucou. Vont s’ensuivre tout un tas de péripéties qui la mèneront à bord d’une station orbitale déliquescente truffée de pirates psychopathes, sur la Lune qui a connu un début de terraformation (fallait y penser…) et qui abrite une secte post-chrétienne dirigée par des mutants télépathes, à la surface de la Terre au milieu de plantes génétiquement perturbés et de robots rebelles, et au centre de recherches consacré à Nessie où règne le plus implacable des adversaires : l’administration.
Que dire de plus ? Que Milla est le premier roman – difficile de ne pas s’en rendre compte – de deux amateurs de Sci-Fi, cette étiquette qui désigne le genre sous sa forme télévisée et cinématographique et, qu’à ce titre, il est plutôt à déconseiller aux passionnés de littérature de SF, voire de littérature tout court. Que ce récit, en voulant brasser large, se révèle surtout un laborieux fourre-tout de clichés SF emboîtés à coups de masse. Que les personnages sont inconsistants et caricaturaux, se fourvoient dans des dialogues d’une impressionnante vacuité et acceptent la « réalité » comme elle vient sans chercher plus d’explications (les scientifiques du récit peinent à convaincre tant ils sont restés au stade de la pensée magique et s’en tirent par une ellipse du genre « De toute manière, vous n’y comprendriez rien. »). Que, depuis, j’ai fait mienne la maxime de Nietzsche : « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort ».

Neva – la Voie des Lucioles 2

Milla et Alas, les deux personnages phares de « Milla », se sont rejoints à bord du vaisseau fabriqué grâce aux directives des E.T. et aux conseils avisés des « lucioles », ces nanobots aliens lumineux télépathes tout-en-un qui se sont pris d’affection pour l’héroïne et ont la particularité de transcender son intelligence et de lui montrer par anticipation des fragments du scénario. Milla a vécu plein d’aventures, n’a pas trop crié lorsque des gens sont morts, est devenue une I.A. puis a retrouvé son corps parce que les auteurs commençaient à se lasser de ses introspections et de ses dialogues pseudo philosophiques avec l’I.A. du vaisseau. Alas est un peu à la traîne, manifeste une légère tendance à faire son Rémi sans famille, s’est trouvé une chérie encore plus fade que lui et se contente des restes. Malgré ce favoritisme flagrant, Alas succombe au charisme (?) de Milla et à son parler cool qui fleure bon le terroir des cours de lycée. Ensemble, ils vont montrer à l’Humanité et aux chefs qui donnent des ordres qu’être rebelle et impulsif, y a que ça de vrai.
Pendant ce temps-là, la secte des mutants télépathes de la Lune, les mooniens, a sournoisement récupéré une copie des plans aliens et s’est fabriqué sa propre I.A.
Contrairement à celle des terriens, celle-ci a la particularité de ne pas être modelée sur l’esprit de Milla et ne pas parler : les mooniens ne savent pas la chance qu’ils ont. Piqués par on ne sait trop quelle mouche sélénite – l’ « appel du destin » a bon dos -, les mooniens installent l’I.A. sur leur arche spatiale brinquebalante et plient armes et bagages pour faire la course avec le vaisseau des héros. Ce voyage laborieux à bord d’un assemblage de legos cosmiques qui part à vau-l’eau peut être interprété au choix : comme une volonté des auteurs de pimenter de scènes d’action rocambolesques leur soupe trop claire, ou comme la métaphore lucide de leur incapacité à empêcher leur roman de se déliter de tous côtés.
Quoi de nouveau par rapport au premier tome ?
Davantage de dialogues, d’abord. Ce n’est pas vraiment une bonne nouvelle, même si, exceptionnellement, ils parviennent à faire mouche comme lors de certaines conversations entre frère Esteban et son mentor Ibb-Sabb.
Davantage d’humour, ensuite. Ou tout du moins de tentatives dans ce sens. Les personnages rigolent de leurs propres réparties, c’est toujours ça.
Davantage d’émotion et de poésie, également. Cela donne des phrases baroques du style : « Sans un mot, le lourd robot immobile se laissa dépouiller de ses lasers. Le long de sa joue d’acier coulait une larme de rouille. » (p. 73).
Davantage de deus ex machina, enfin, signe que les auteurs pédalent vraiment dans la macro-semoule : Milla qui quitte et réintègre son corps sans que cela n’apporte rien à l’histoire ; lors du trajet en vitesse superluminique, le temps qui avance plus vite à l’intérieur du vaisseau pour accélérer opportunément la croissance des bébés savants d’Alas ; les mooniens en rade dans l’espace qui dénichent un moyen de se téléporter pour rejoindre les héros…
Sinon, toujours autant de rigueur scientifique. Nous apprenons entre autres qu’astéroïde et météorite sont des synonymes stricts et que la ceinture d’astéroïdes (qui contient donc moult météores) se situe entre Jupiter et Saturne.
Et une mention spéciale pour l’idée d’avoir nommé le robot de l’équipe Robie, même si la référence est clairement avouée.
J’aimerais encore vous décrire le manque d’exotisme de la planète des extraterrestres, l’absence d’originalité des aliens et de leur civilisation et le bouquet final bâclé dont on retient surtout le soulagement des auteurs d’être parvenus au bout de leur roman, mais je ne voudrais pas trop gâcher la surprise des éventuels amateurs. Ajoutez à cela des illustrations de couvertures aussi excitantes que des papiers-peints Windows, une bonne poignée de coquilles typographiques et une mise en page qui laisse parfois à désirer (À noter : Lecture de ce tome effectuée sur épreuve non-corrigée) et vous pouvez économiser vos euros pour acheter des tas de fanzines. Vous y trouverez aussi des maladresses mais plus de fraîcheur et de prise de risque.

— Michaël F.

Durante Éditeur
Milla – ISBN : 2-912400-52-X
20 €
Néva – ISBN : 2-912400-
Prix non indiqué

Cibylline

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