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"La voix du feu" d’Alan Moore

La Voix du feu ce sont « les » voix du feu ou même, par certains aspects la « voie » du feu. Alan Moore nous donne ici un recueil de nouvelles. Douze nouvelles qui n’en sont pas tout à fait car elles s’interpénètrent et se chevauchent pour former une longue histoire, celle de la ville de Northampton de l’aube des temps jusqu’à nos jours.

Et c’est une bien curieuse histoire de sang, de sexe, de têtes décapitées et de bûchers. Horrible et fascinante. Et qui garde sa cohérence qu’on la lise chronologiquement ou au hasard de ses envies. Dans l’un ou l’autre cas, la toute dernière, L’escalier d’incendie de Phipps, est la clef que donne le narrateur en évoquant cette ville où il demeure.
Le Cochon de Hob est la plus ancienne de ces histoires, et la toute première, celle d’un simple d’esprit qui aura cru échapper à la cruauté des siens pour sombrer dans un monde plus cruel encore, celui, ordinaire, de l’humanité, après une courte parenthèse d’espérance. Écriture si particulière qu’on ouvre ici une autre parenthèse pour saluer le tour de force de Patrick Marcel qui a traduit l’ouvrage de l’anglais.
C’est sur cette terre près du fleuve et des marais que se croiseront les routes d’Oucine, qui rejoint son père, l’homme-hob d’un village et celle de l’étrangère qui devra trouver sa voie dans la douleur des Champs de crémation. Et c’est aussi là, Dans les terres inondées, dans une vague construction de roseaux, qu’aux tout premiers temps de notre ère s’abritera un chasseur-pêcheur qui a perdu sa famille et erre en même temps à la lisière du marécage et à celle de la folie. Dans la ville qui s’y installera près de trois siècles plus tard, un malheureux fonctionnaire romain, vieilli avant l’âge, et chargé de découvrir les faux-monnayeurs à l’aide d’une pièce étalon portant La tête de Dioclétien, découvrira un empire plus contrefait que sa monnaie.
Beaucoup plus tard encore, avec Les saints de novembre, c’est une vieille sœur contrefaite et désabusée qui souffrira de visions dans lesquelles elle revivra le martyre d’un saint enterré dans la crypte. Et c’est au-dessus de cette même crypte qu’un chevalier de retour des croisades fera édifier une église ronde pour retrouver une foi peut-être perdue En boitant vers Jérusalem.
Les confessions d’un masque seront ce qui reste de pensées à une tête décapitées fichée sur une pique à l’entrée de la ville. Pour faire un exemple. Mais si désabusées qu’elles soient, elles n’ont guère acquis de sagesse au fil du temps. Cependant, on ne saurait reprocher aux condamnés de la ville une sagesse qui n’existe pas davantage chez leurs juges, comme le démontre Le langage des anges. Encore qu’il puisse arriver qu’à penser davantage à leurs appétits qu’à la justice, certains juges ont à redouter un sort plus cruel que les condamnés.
Après les saints et les anges, quoi de plus naturel que rencontrer des sorcières ? Complices ès tricots évoquera les sorts tricotés par deux d’entre elles. Pauvres sorts de pauvres sorcières et qui ne les sauveront pas du bûcher.
Le soleil au mur semble pâle nous ramènera aux marches de la folie que nous n’aurons jamais vraiment quittées en suivant le triste chemin d’un poète depuis la prison jusqu’à l’asile et en percevant la détresse de son épouse, confrontée au souvenir ou au rêve d’une autre. Car les épouses qui apparaissent en filigrane au long de toutes ces nouvelles n’ont guère de raison de bonheur et encore moins celles d’Alf, représentant en lingerie (J’ai toujours des jarretelles en voyage) obsédé, lâche et, en prime, polygame.
Bref, un livre très dur soulignant les pires travers de l’espèce humaine avec une parfaite sobriété de moyens servie par une écriture remarquable.

— Hélène

Éditions Calmann-Lévy – coll. Interstices
329 pages – 19,90€
ISBN : 978-2-7021-3753-6

Cibylline

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