Le Calepin Jaune n° 7
Ce dernier opus de la revue d’Estelle Valls de Gomis, axée sur le fantastique et sur le dix-neuvième siècle, époque inspiratrice s’il en est, nous offre à nouveau de très bons moments de lecture. Mais n’allons pas trop vite en besogne et examinons d’abord l’extérieur. La couverture est signée Natalia Pierandrei et il est à regretter que son talent ne s’expose pas plus dans cette revue. D’ailleurs, ce Calepin Jaune semble être en cruel manque d’illustrations intérieures, une défaillance, qui, espérons-le, pourra être comblée à l’avenir. Mis à part quelques coquilles et autres fautes, la mise en page demeure soignée et de qualité. Entrons donc au coeur de cette revue?
· « Vous m’avez fait former des chimères » de Léonor Lara ( 3e et dernière partie)
Et de chimères, il en est bel et bien question dans la troisième et dernière partie de cette nouvelle, où un monstre terrorisant un village, situé en pleine campagne, sous l’ombre du manoir des Guisen, se joue des principes scientifiques et rationnels du héros. Il apprendra à ses dépens que réaliser ses désirs, même les plus respectables d’entre eux, entraîne parfois des actes lourds de conséquence. Dans un style agréable et s’épanchant volontiers en descriptions pour notre plus grand plaisir, Léonor Lara nous livre ici une nouvelle au rythme palpitant, rehaussée par une illustration très Art Nouveau d’Estelle Valls de Gomis
· « Plaisirs Victoriens » par Merlin Gaunt
Ou comment nous décrire une véritable descente aux Enfers. L?auteur nous livre ici un récit entaché de soupirs inavouables, de souffrances libératrices. D’une écriture parfaitement maîtrisée, Merlin Gaunt nous dévoile la part d’ombre d’un dandy victorien, si condamnable dans cette Londres victorienne et puritaine.
· « La Lumière de ses yeux » par Sophie Dabat
Une inconnue évanouie sur le seuil d’un couvent? Les cauchemars récurrents d?une pensionnaire? Dans cette France post-révolutionnaire, le quotidien de jeunes filles orphelines, sous l’égide sévère des nonnes, est soudain bouleversé par l’arrivée de Blanche, à la chevelure de neige et au regard d’ange. Du moins toutes la considèrent-elles ainsi? Sophie Dabat explore ici les thèmes de la culpabilité et du péché, d’une plume délicate et incisive.
· « Le Collectionneur de Peaux » par Brendan Connell
Seule nouvelle étrangère de ce numéro et traduite par les soins de la directrice du Calepin, « Le Collectionneur » livre ici le récit d’une passion peu commune, celle des peaux humaines et des tatouages y étant représentés. Fasciné par ces oeuvres d’art, le jeune Lum décide de rendre visite au professeur Black. Malgré un début prometteur, la fin de cette nouvelle se révèle assez facilement, dès les premiers paragraphes. Néanmoins, le style clinique de l’auteur, préservé par la traduction, ainsi que le portrait subtil de l’énigmatique collectionneur se montrent assez intéressants pour dévorer ce récit.
· « Le Juge et l’Assassin » par Marcel Divianadin
Ne vous fiez pas aux premiers abords, nulle histoire policière ne se dissimule sous ce titre. Tout au plus découvrira-t-on, au fil des lignes, quelques espions soigneusement cachés. Marcel Divianadin nous fait pénétrer dans un hôtel particulier, où, sous une apparence parfaitement convenable, se cachent de drôles d’objets. Voilà un récit assez hétéroclite, où le fantastique se mâtine d’éléments de science-fiction, où l’imagination de l’auteur nous embarque dans une intrigue au dénouement efficace, à défaut d’être vraiment original.
· « Une valse pour trois jours » de Thomas Dumoulin
Qui parmi nous n’a jamais rêvé de remonter le temps, de changer notre attitude afin de construire un autre avenir ? Voilà le défi apparemment impossible qu’offre un professeur de musique à son jeune apprenti amoureux, au son de Chopin et de son ultime oeuvre. Au début ressemblant au classique d’H.G Wells, « La Machine à remonter le Temps », succède cependant une fin au manque de saveur, au rythme quelque peu défaillant. Dommage pour cette nouvelle, à l’écriture agréable et au cadre viennois peu habituel.
· « Voyage à Bain » de Renaud Cerqueux (2e partie)
Le moins qu’on puisse dire est que ce voyage ne laisse pas indemne son unique participant ! La deuxième partie de cette nouvelle nous emporte dans un tourbillon d’émotions, entre sensualité trouble et regrets amers, dans cette ville où les règles de la bonne société victorienne semblent étrangement modifiées, voire purement et simplement éradiquées. La fin se révèle surprenante, abrupte, laissant planer le mystère sur le dénouement de ce déroutant périple.
· « Le Bal » par Aurélie Berson
Une histoire classique de vampire, constituant sans doute le point faible de cet opus. L’intrigue révèle maladresses, incohérences, voire de l’ironie apparemment involontaire. Le Prince de la Nuit ainsi qu’Anastasia, la jeune héroïne de ce récit, semblent dénués de toute consistance, n’étant mis en scène que pour reproduire le schéma ordinaire des récits de vampire. Il est dommage que cette jeune auteure ait hésité à insuffler quelque réalité à ses personnages, les empêchant par là de captiver l’intérêt du lecteur.
· « Danse éphémère » par Lady Tamara
Si on cherche en vain quelque élément propre au dix-neuvième siècle dans ce récit, on est séduit par le style sombre de Lady Tamara, qui convient parfaitement à l’histoire. Il est parfois dangereux de se laisser distraire hors des chemins connus, même par une belle journée d’été. L’auteure nous livre ici un conte cruel, décrivant une enfance immolée sur l’autel de l’inattention. Si la fin se révèle quelque peu prévisible, on l’excusera aisément grâce à l’écriture désenchantée de Lady Tamara.
· « Les Riches heures gothiques victoriennes de Lord Soffen » par Armand Cabasson (2e et dernière partie)
Si la première partie de cette nouvelle nous avait décrit un lord dénué de toute passion, vide de toute émotion, la deuxième et dernière partie nous le montre enflammé, ardent, prêt à relever le défi quil a imposé à la troublante Jemina. Cependant, dans l’âme chaque prédateur, aussi puissant soit-il, danse la menace de devenir, un jour, la proie? De son style précis, Armand Cabasson nous entraîne dans un monde délétère et immortel, marqué par la fuite perpétuelle de l?ennui. Le parcours cynique d’un lord qui ne l’est pas moins.
En résumé, et en dépit de quelques erreurs, ce numéro du Calepin Jaune fait preuve à nouveau d?une grande qualité, aussi bien au niveau du choix des textes que de l?apparence externe de la revue. Souhaitons donc un brillant avenir à ce fanzine, porté à bout de bras par la talentueuse Estelle Valls de Gomis.
— Cindy Van Wilder
trimestriel
geocities.com/lecalepinjaune
six euros
74 pages