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"Le calice noir" de Marie Jakober

Que devient un homme, lorsqu’il a vieilli et doit se rappeler de ses souvenirs ? Un chroniqueur ? Un écrivain ? Ou… ? Et quand Paul Von Arduin, moine irréprochable, se voit confier la tâche de relater les circonstances réelles qui ont entouré, trente ans auparavant, les débuts d’un règne, qu’écrit-il ? Une relation ? Une biographie ? Sa confession ?

Il y a de tout cela dans la terrible histoire qu’il va s’efforcer de transmettre, et qui peut dire si la malédiction dont il est l’objet et qui le contraint à écrire une vérité qui n’est pas la sienne, n’est pas l’expression même de son remords ? Car Paul, le petit Pauli qui fut le page de Karélian Brandéis, Comte de Lys, pourrait-il oublier qu’il a aimé, et avec une jalousie féroce ? Seulement, comme en avait jugé son père, qui aimait-il vraiment ce petit jeune homme falot et influençable : cette séduisante et affolante sorcière qui se glisse parfois entre les murs de sa cellule ? Cela aurait pu être, c’est certain, car à repousser vertueusement la chair, on tombe parfois dans l’excès inverse mais c’est une autre tentation que sa plume ensorcelée va le contraindre à mettre à jour… Un amour dont il se cachera, dont il aura honte car, en ce XIIème siècle, l’Église n’est pas tendre et peut-être moins encore pour les sodomites que pour les sorciers, mais Karélian est si beau, si courageux, si brillant ! Et ce page dévoué en lequel il place toute sa confiance, si gentil, si dévoué, si loyal. N’est-il pas normal qu’il en soit aimé ? Et Paul, qui aspire à l’amour de Dieu, pourrait-il aimer un ambassadeur moins brillant ? Non, bien sûr, à moins qu’il n’aime davantage l’éclat du pouvoir, d’où qu’il vienne ?
Marie Jakober nous emmène avec une incisive cruauté dans les chemins intérieurs de cette âme tourmentée en nous laissant juge des vertus des uns, des vices des autres, et des faiblesses des simples mortels, à travers la fresque « historique » éclatante d’une histoire qui n’a jamais existé mais qui, par la magie de l’auteur, devient plus réelle que la vraie…
Ces personnages-là ont existé, d’une vie tellement vivante, qu’ils en prennent une densité « personnelle ». Ces régions-là ont existé, et aussi cette église si avide de pouvoir temporel, celle qui défaisait les trônes et les rois, lorsqu’elle le pouvait, mais défaisait aussi sûrement les âmes mal trempées tant la porte du ciel devenait étroite. Et pourtant, il est sans doute des condamnations pires encore que celles de l’inquisition, celles de sa conscience?
C’est peu de dire que ce livre m’a séduite, par son écriture, par son érudition historique, enfin, par la réflexion à laquelle il conduit, sans avoir l’air d’y toucher, tant la brillance du décor égare le lecteur.
Le seul petit bémol que j’y mettrai (rien ne saurait être parfait) est une illustration de couverture qui, si elle suit le texte à la lettre, n’en sert que bien mal l’esprit. C’est un peu dommage.

— Hélène

Éditeur Alire
ISBN : 9-782922-145939
718 pages

Cibylline

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