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"Le compas de l’âme" de Sean Russell

Lord Eldrich est un pratiquants des arts, un mage. Le dernier de tous. Autant dire presque un dieu au sein du royaume au net tropisme victorien de Farreterre. Et, parmi les desseins d’Eldrtich, s’il en est un qui n’est pas impénétrable, c’est la recherche et la destruction méthodique de tous ceux qui aspirent à lui succéder, à faire revivre la magie.

Si les augures disent vrai, la survie du royaume et de ses habitants dépend de son succés.
Mais quelques-uns doutent de cette prophétie et s’insurgent contre la tyrannie et la toute puissance d’Eldritch. Parmi ceux-là, l’empiriste Erasmus Flattery, le nain Clarendon à la mémoire douloureusement inaltérable et leurs deux jeunes amis, Hayes et Keller, qui ont échappé à la mort dans les souterrains où le mage les a cloîtrés. Sans oublier Anna Fielding, la femme fanée, l’apprentie mage rebelle dont les pouvoirs s’accroissent tandis qu’elle esquive les pièges dressés par Eldritch.
Dernier tome de la tétralogie dite « farroise », Le Compas de l’Âme est la suite de Sous les Collines Voûtées, ces deux volumes constituant eux-mêmes la préquelle de Un Monde Sans Fin et Une Mer Sans Rivage (oui, l’auteur aime les titres poétiques). Pour resituer rapidement, Un Monde Sans Fin et Une Mer Sans Rivage mettent en scène l’avènement de la science empirique et du matérialisme dans un monde oubliant peu à peu ses racines féériques tandis que Sous les Collines Voûtées et Le Compas de l’Âme présentent le crépuscule des mages et de leur ingérence surnaturelle.
Sans être foncièrement original, l’univers décris vaut surtout pour l’empreinte qu’y laisse le style inimitable de Sean Russell. Ni groupe d’aventuriers héroïques, ni forces du mal comploteuses, ni nobles sentiments et grandes batailles épiques au milieu de ces pages. Nous sommes ici davantage dans de la littérature contemplative mâtinée de fantastique léger que dans de l’heroic fantasy hollywodienne. La narration tout en retenue, les tragédies sourdes qui sous-tendent chaque interaction, les personnalités complexes où souvent perce la mélancolie, les protagonistes qui oscillent entre grandeur et déchéance, tout contribue à voir davantage l’influence de Shakespeare que de Tolkien. D’ailleurs, le (magnifique) personnage d’Eldritch, avec ses ambiguïtés, sa cruauté par devoir et ses accès de compassion, souffrant d’être encore homme malgré son envergure de surhomme, ne dépareillerait pas sous la plume du dramaturge.
Un grand coup de chapeau au passage au traducteur, Lionel Davoust, qui rend bien cette paradoxale impression de sobriété généreuse que dégage le texte, et à l’illustrateur, Beet, dont le camaïeu impressionniste est un instantané fidèle de l’un des passages les plus intenses du roman.
Cette médaille a priori chatoyante n’est néanmoins pas dénuée de revers : à trop se concentrer sur ses personnages et leur épaisseur psychologique, l’auteur en oublie les figurants qui passent, telles de rares ombres, au sein d’un monde qui semble bien vide. De même, il faut avouer que, bien que ces presque 450 pages se dévorent sans faillir, il ne s’y passe globalement pas grand-chose ; les inconditionnels d’action, de dialogues nerveux et de confrontations échevelées trouveront la pilule un peu difficile à avaler. Ce serait oublier que Sean Russell sait non seulement se passer avec une facilité étonnante de tout ce qui fait le sel d’un roman de fantasy lambda mais encore dévoiler des angles de lecture et des dimensions insoupçonnés à son lecteur avec une apparente économie de moyens remarquable.
Finalement, peut-être que le dernier pratiquant des arts magiques, c’est lui.

— Michaël F.

Éditions l’Atalante
Traduction : Lionel Davoust
443 pages – 22 €
ISBN : 2-84172-415-4

Cibylline

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