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"Les Hybrides – Le monde de Fernando II" d’Hervé Thiellement

Dans ce second volume, on aborde avec plaisir la suite des aventures de Fernando et de ses potes (clones, clonettes, supertaupes, loups, aigles et, désormais, quelques hybrides interspécifiques), à la surface d’une Terre autrefois dévastée par la folie des hommes.

La communauté étant désormais bien installée en surface, sur l’îlot dans le coude du fleuve, Fernando décide qu’ « il [est] temps qu’ils se remuent un peu (…) s’ils [veulent] explorer le monde ».
Un premier voyage vers les montagnes du nord, à bord d’une montgolfière artisanale tractée par deux supertaupes, tourne au vinaigre… Quelques temps plus tard sont montées deux nouvelles expéditions, mais en bateau, qui se dirigeront l’une, dont Fernando, vers l’amont du fleuve, et l’autre, qui sera plutôt « l’expédition des enfants », vers l’aval et la mer. Les deux groupes restent en contact grâce à « l’égrégore », télépathie que pratiquent notamment les michèles, ces « pétillantes infirmières (…) à la cuisse légère ».
Les explorateurs de l’amont vont bientôt découvrir les ruines vitrifiées d’une grande ville, reconnaissable aux restes de la Tour Eiffel (malgré le clin d’œil, on est loin de Charlton Heston agenouillé devant la Statue de la Liberté ensablée, et pleurant toutes les larmes de son corps). Paris ? Le lecteur, à ce moment-là, se dit : « Euh… Si le fleuve est la Seine, et qu’ils sont donc partis de l’aval, Fernando, dans le tome 1, a émergé du monde souterrain en Normandie, ou à peu près… Bon. OK. Mais alors, que diable sont ces montagnes qu’ils ont rencontrées, au nord ? » Plus loin, l’auteur répondra à cette question : c’est que la géographie du monde, et notamment de l’Europe, a violemment été transformée, « à cause des effets telluriques collatéraux des bombes » ; « les cours de la Seine, et de la Loire (…), ont été détournés par des montagnes apparues très vite ces derniers millénaires entre Picardie et Sud-Ouest » et ces fleuves rejoignent désormais la Méditerranée. Ouf. Si la cohérence est sauve, cela permet surtout une variation intéressante par rapport à un Alain Le Bussy, par exemple, qui lui aussi fait revenir les survivants d’une catastrophe globale à la surface (dans le cycle de Yorg de l’île, au Fleuve Noir), mais sur un territoire inchangé, à la géographie reconnaissable. Le monde de Fernando, lui, est à la fois familier et déroutant… à plus d’un titre, du reste.
Revenons à nos explorateurs : à Paris, ceux de l’amont rencontrent un spectre bizarroïde, émanation des esprits-machines (la partie pensante du Programme qui a permis la survie des clones tout au long de ces années), esprits qui, grâce à l’intervention d’une des hybrides, vont les accueillir amicalement, et leur donner accès à leur gigantesque base de données, recréant ainsi une sorte d’université. Pendant ce temps, « l’expédition des enfants » a vogué vers le sud, sur une Seine devenue aussi large que l’Amazone. Parvenus à la Méditerranée, ils y établissent un port qu’ils nommeront Saint-Tropez (même si beaucoup plus à l’ouest que l’ancien village de ce nom).
À cette occasion, la description du supermonticule, « maison idéale » complètement intégrée au paysage, nous ramène au fait que cet ouvrage, tout comme le précédent, est aussi une sorte d’utopie pastorale, écologiste, au message humaniste (voire espéciste, pour détourner un brin Pratchett), qui non seulement entend montrer les descendants des humains vivant en pleine harmonie avec leur environnement, mais souligne également que ces souterriens ne se considèrent pas comme le « peuple élu », puisque « régnant » à égalité avec les supertaupes, les loups, etc., et s’appariant même avec eux (unions qui on l’a vu se révèlent fertiles, grâce aux bidouillages génétiques effectués par le Programme). Ce n’est donc pas seulement par sa géographie métamorphosée que le monde de Fernando n’est plus notre monde… Encore un exemple ? La résolution des problèmes d’ordre relationnel ou sexuel compte autant, pour cette ébauche d’une nouvelle civilisation, que celle des problèmes d’ordre technique. C’est « une nouvelle Terre où le cours de fleuves [a] changé, où la vie [a] pris une autre tournure, [a] essayé d’autres choses, inventé de nouveaux modèles ».
Les deux groupes se retrouveront plus tard à « Saint-Tropez », et certains entreprendront un autre voyage de découverte, qui les mènera en Tunisie, en Libye, en Égypte puis au Soudan et en Afrique Noire. Pyramides translatrices, sphinx régénéré, repas mondain avec crocos et superlions, arbre géant où vivent des gorilles immortels (et excellents cuisiniers), de nombreuses péripéties conduiront à une fin en point d’interrogation où, l’énigme de la naissance de l’univers enfin résolue (rien de moins !), nous quittons Fernando and Co… avant qu’ils n’entament, peut-être, un nouveau périple ?
On passera en tout cas un bon moment à lire ce roman, dont le style est, comme pour le précédent, proche du langage parlé et de la discussion informelle au troquet du coin. Cet aspect léger est renforcé par les illustrations, très BD (on songe un peu à la manière de la bande à Trondheim), qui en émaillent les pages. Une narration agréable, donc, qui distille au passage, sans avoir l’air d’y toucher, et au-delà du message sympathique évoqué plus haut, quelques enseignements bien sentis (personnellement, hips, j’aime assez ça, par exemple, à propos d’une bamboula très arrosée : « Ce n’était peut-être pas le meilleur exemple à donner aux fillettes (…). Fernando, pour sa part, pensait que tous les enfants du monde devraient avoir vu leurs parents allumés, cela relativise le respect que l’on est censé porter aux donneurs de leçons ».
Un (petit) bémol, enfin : le lecteur peut se perdre dans la multiplication des personnages. L’auteur a heureusement songé à cet écueil et propose, en début d’ouvrage, un genre de « dramatis personnae » présentant tous les protagonistes.

— P’tit Mot Terré

Éditions Amalthée
ISBN : 2-35027-312-1
220 pages – 18 €

Cibylline

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