"Les Méandres du Temps (La suite du temps – I)" de Daniel Sernine
Nicolas Dérec ressemble à tous les adolescents de cette fin de XXe siècle : révolté et rêveur, exigeant et exalté. Il aspire à un monde plus juste tout en créant des maquettes de vaisseaux interstellaires et se prend à imaginer une humanité en pleine conquête spatiale, colonisant lunes et astéroïdes, étudiant la stratosphère de Jupiter. Et si ses fantasmes n’en étaient pas vraiment ? Si ses troublantes visions s’établissaient sur un fond de vérité ? S’il existait une civilisation forte d’une confortable avance technologique qui s’était donnée pour mission de surveiller discrètement les terriens et de veiller, le cas échéant, à les empêcher de s’autodétruire ? Et si cette fraction de l’humanité éparpillée dans le système solaire s’intéressait à Nicolas Dérec et à son fabuleux potentiel psychique ?
Ce bref aperçu en dit peu mais en dévoile déjà trop. « Les Méandres du Temps » est un roman progressif et lent, qui se découvre par petites touches, qui s’apprécie en prenant son temps. N’allez pas croire pour autant que l’auteur joue avec la curiosité du lecteur en instaurant un climat d’attente et d’expectative. On ne peut pas vraiment parler de suspense à propos de cet ouvrage : les deux lignes narratives en alternant le point de vue de maître Karilian, métapsy le plus doué de la mystérieuse société d’Érymède, et celui de Nicolas, jeune télépathe qui apprend à développer ses dons à la fondation Peers, nous présentent d’emblée la majeure partie des pièces du puzzle. Mais le puzzle sera long à assembler et ce d’autant que l’auteur l’amorce à chacune de ses extrémités. Il faudra de la patience et de la ténacité au lecteur pour commencer à apercevoir un schéma d’ensemble et pour rentrer de plain-pied au coeur du récit.
Et si j’avoue avoir eu quelques difficultés à m’embarquer dans ce livre – la bavarde description du décor et l’introspection des personnages pouvant parfois passer pour des longueurs – je ne regrette pas un instant le voyage. Sernine s’y connaît en littérature et n’a pas son pareil pour dessiner des paysages époustouflants de beauté et évoquer des images tantôt d’un onirisme délicat, tantôt brutales de réalisme. Dommage que ses personnages ne bénéficient pas de la même profondeur de traitement. Souvent communs, parfois à la limite de l’archétype (les militaires cyniques et cruels, l’adolescent idéaliste et rebelle…), ils agacent plus qu’ils passionnent. À noter cependant une exception de taille en la personne du poignant Karilian, héros tragique et torturé par ses prémonitions et le sacrifice de son bonheur à la cause de l’humanité. Ce manque d’épaisseur des protagonistes vient peut-être du fait que « Les Méandres du temps » est un ouvrage de jeunesse : bien qu’entièrement révisée, l’oeuvre a été écrite en 1983 (des relents de guerre froide s’y font d’ailleurs toujours sentir). Gageons que les personnages se révèlent un peu plus consistants dans le deuxième volume « Les Archipels du Temps », maturité de l’auteur aidant.
Quels que soient les légers défauts de ce livre, il est cependant indéniable qu’il arrive à la hauteur de ses ambitions et qu’il démontre un peu plus l’extraordinaire vitalité de la science-fiction québécoise. La politique de publication adroite et décomplexée d’éditeurs comme Alire n’y est certainement pas étrangère.
— Michaël F.
Éditions Alire
430 pages
ISBN : 2-922145-90-5