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"Les Romans de l’homme-singe" de Régis Messac

La Société des amis de Régis Messac (1893-1945) a récemment entrepris la réédition systématique de ses œuvres, de romans bien connus comme Quinzinzinzili (1935) aux travaux plus académiques de ce pionnier de l’étude de la littérature populaire.

Les Romans de l’homme-singe, paru en 2007 aux éditions Ex Nihilo, entre dans cette seconde catégorie. Outre l’essai éponyme (1935), il inclut « Notre ancêtre le singe » (1933), courte étude sur la notion de race et ce qu’on appelait alors le “chaînon manquant”, et trois textes très mineurs.
La plume est savante mais alerte, comme on les aimait à l’époque. L’ensemble ravira les inconditionnels de Régis Messac, et sans doute plus généralement les amateurs de science-fiction ancienne. « Les Romans de l’homme-singe » nous offrent une mise en perspective vertigineuse : l’auteur s’amuse à présenter des textes de la seconde moitié du XIXe siècle, pour la plupart déjà introuvables dans les années 30, comme l’incontournable Gulluliou ou le Presqu’homme de Marcel Roland (1905), ou Hémo d’Émile Dodillon (1886). Dépaysement garanti !
Régis Messac s’avère un darwiniste convaincu, et son essai analyse les traces littéraires de la polémique sur la “parenté” entre l’homme et le singe. Mais au-delà de ce travail documentaire, utile en lui-même, le principal intérêt du recueil est de nous montrer comment la théorie de l’évolution était reçue et comprise en France dans les années 1930.
Son humanisme ne fait pas plus de doute que sa passion ; mais Messac est un pur littéraire, fasciné par la science au point de renoncer à son esprit critique pour se faire le héraut de “données” parfois douteuses. L’exemple le plus direct en est fourni par « Notre ancêtre le singe », béat d’admiration devant la découverte “scientifique” des vestiges de ce qu’on a appelé “l’homme de Piltdown” — dont on sait depuis que c’était un canular, probablement monté par le jeune Teilhard de Chardin.
Il y a plus grave, ou plus dérangeant. La paléontologie de l’époque distingue soigneusement Noirs, Jaunes, Méditerranéens, Alpins, etc. ; les tentatives de datation des différentes “branches ”de notre “arbre généalogique” ne sont pas loin de constituer une hiérarchisation explicite des races. Alors même qu’il dénonce explicitement les discriminations à l’égard de toute personne consciente (la recherche de cette frontière est bien sûr l’autre axe majeur du recueil), Messac intègre et propage, au nom de la science, les préjugés racistes de son temps. De quoi s’interroger sur nos propres “certitudes”…

— Éric

Éditions Ex nihilo
N° ISBN : 2-916185-01-1

Cibylline

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