« Maître de la matière » d’Andreas Eschbach
C’est ennuyeux lorsque l’on a dix ans d’être tout seul. Surtout pour un petit garçon confiné dans sa chambre à faire du bricolage parce qu’il n’a pas vraiment de camarades. Un père américain, vous pensez, lorsqu’on est japonais. Et si, en plus, on fait partie des petits gabarits !
Hiroshi s’ennuie et il pleut.
Mais Charlotte aussi s’ennuie. Elle, la petite fille de l’ambassadeur de France, cloîtrée dans leur résidence sans autre distraction que les soirées d’adultes et ayant laissé sa meilleure amie et tous ses souvenirs en Inde, dans le poste précédent de son père. De là à dire qu’il est amusant de danser la nuit sous la pluie dans les jardins quand personne ne vous voit.
Personne sauf Hiroshi.
Même si sa mère, femme de ménage à l’ambassade, estime qu’on ne fréquente pas plus riche que soi, tout comme l’inverse ne se fait pas aux yeux de la mère de Charlotte, leur destin, sous la forme d’une poupée cassée et réparée, permettra aux deux enfants de se lier d’amitié.
Pourtant, leurs vies vont très vite se séparer.
La curieuse sensibilité de Charlotte au passé des objets lorsqu’elle les touche s’émoussera un peu. Hiroshi, lui, n’oubliera pas la promesse qu’il lui a faite d’apporter la richesse à tous. Pour cela, il se mettra à travailler d’arrache-pied jusqu’à devenir un élève puis un étudiant brillants, de fait un génie en robotique.
Partant, il se fera nombre d’ennemis par son souhait de faire cavalier seul. Des amis, également, dont quelques-uns seront désintéressés. D’autres trop heureux d’exploiter ses découvertes.
On pourrait donc dire que c’est par hasard qu’il va croiser à nouveau Charlotte. À une soirée d’étudiants. Même si ses souvenirs commencent à s’effacer, la jeune fille qu’elle est devenue attire bien des admirateurs et son fiancé, riche héritier arrogant n’apprécie guère qu’elle puisse rencontrer cet « étranger ». Mais elle-même sait-elle vraiment si elle y tient ? Peut-être aime-t-elle Hiroshi. Peut-être pas.
Tous deux s’éloigneront à nouveau pour se recroiser plus tard.
Il y a de la bluette dans cette première partie mais les années se chargent d’affermir les caractères. Pendant que Charlotte se cherchera encore, Hiroshi mettra toutes les ressources de son intelligence à atteindre son but et avancera dans ses recherches. Par défi ou pour impressionner Charlotte, ou les deux.
C’est d’ailleurs lorsqu’il lui donnera l’occasion de visiter l’île mise à sa disposition pour poursuivre ses projets par un magnat de la finance planétaire que le récit glissera dans la SF avant d’y basculer corps et biens au Nord de la Sibérie.
La mise en route est donc assez longue mais se lit sans déplaisir. Il y a matière à sympathie dans les idées utopiques du « héros » et sa manière originale d’y parvenir. Quant au plat de résistance, si la SF domine, on y trouve aussi de petits morceaux d’écologie et de gros bouts de thriller, quelques pincées de psychologie et un soupçon d’archéologie, le tout avec une petite touche de sucré-amer qui rend le tout très digeste jusqu’à une fin bien dans le ton.
Un bon moment de lecture donc.
Éditions L’Atalante
638 pages – 25€
ISBN 978-2-84172-647-9