« Mimosa » de Vincent Gessler
Mimosa est le deuxième roman de Vincent Gessler, un jeune auteur suisse remarqué autant par les lecteurs que par la profession pour son premier ouvrage Cygnis : il a obtenu deux prix, dont le Julia Verlanger 2010, et s’est retrouvé finaliste de plusieurs autres, dont le Grand Prix de l’Imaginaire 2010.
Si beaucoup attendaient avec impatience ce second opus, qu’ils ne se fixent cependant pas d’attente à l’aune de leur appréciation de Cygnis : de l’aveu de l’auteur il s’agit de son contraire. Mimosa : sous ce titre laconique et à la poésie incongrue se cache une histoire 50% cyberpunk, 50% délirante et surtout 100% name-dropping avec des protagonistes aussi prestigieux que Jésus-Christ, Clint Eastwood et Crocodile Dundee.
Dans un futur où la consommation de viande n’est plus qu’un souvenir, où l’Amérique du Sud est devenue le continent en vue et où tout le monde a le cerveau interfacé au rézo et peut customiser son apparence physique pour ressembler aux artistes et personnalités de son choix, Tessa mène rondement sa petite agence de détective. Jusqu’à cette enquête banale où son hacker, sosie narcissique de l’acteur Ed Harris, déniche des informations concernant de mystérieux mimosas et où les cadavres commencent à s’accumuler. Et Tessa de découvrir, alors qu’elle est l’une des rares à ne pas avoir modifié son aspect et à être restée elle-même, qu’elle n’est pas vraiment elle-même.
Si ce livre démarre comme une sorte de polar SF à la Richard K. Morgan, la comparaison valant autant pour la toile de fond neo-cyberpunk que pour les scènes d’action nerveuses et ultra-violentes, il prend rapidement un tour plus inattendu : entre, d’une part, l’inflation des introspections de l’héroïne, oscillant entre le profond et le spécieux, d’autre part les références et clins d’œil omniprésents à notre époque via les avatars des personnages et les citations d’extraits musicaux, et enfin le scénario qui flirte allègrement avec la blague potache, difficile de savoir où l’auteur veut en venir. À supposer qu’il le sache lui-même. Vincent Gessler, en effet, semble parfois craindre de prendre son récit trop au sérieux et plus on avance dans l’histoire, plus il se réfugie derrière la dérision et un côté « roman 2.0 » avec ses tendances blog (les références culturelles, les private jokes) et ses bonus dignes d’un DVD (bêtisier, interview des personnages).
Le principal paradoxe de ce roman réside dans le fait que l’auteur s’en veut très détaché en nous livrant une trame très lâche, voire un peu en roue libre, et qu’en même temps il s’y ancre personnellement par le biais de l’affichage de ses préférences en matière d’acteurs, d’auteurs et de musiciens. À ce sujet, son éclectisme et ses goûts originaux, notamment en matière de musique où l’on papillonne de la pop électro au hard-rock en passant par le folk irlandais ou la chanson française décalée, sont aussi édifiants que sont décevantes par leur banalité ses antipathies déclarées : Paulo Coelho, Marc Lévy et Eric Zemmour ; Justin Bieber l’a apparemment échappé de peu.
C’est vraisemblablement cette sorte de schizophrénie narrative qui a fait assimiler ce roman à un objet littéraire non identifié. De mon point de vue, il s’agit davantage d’un livre qui a la tranche entre deux chaises et dont la trame n’est pas parvenue à s’émanciper des hésitations de l’auteur. Au niveau contraste, ses qualités et ses points faibles ne sont pas en reste : d’un côté nous avons une plume précise et assurée capable de rendre haletante une scène de combat et de nous immerger totalement dans les réflexions torturées d’un personnage, de l’autre certaines incohérences scénaristiques, comme le fait que les avatars choisis se restreignent pratiquement au milieu artistique des années 1980-1990, ce qui ne laisse guère de possibilité d’échapper au conformisme, ainsi qu’un humour à la truelle qui alourdit la sauce plus qu’il ne l’allège.
De ce méli-mélo un peu désordonné c’est heureusement le plaisir de lecture qui ressort en premier lieu, sauf en ce qui concerne les annexes et leur tentative maladroite d’apporter une plus-value insolite à l’ouvrage. En second plan, cependant, le lecteur a également la sensation de n’avoir entre les mains qu’une ébauche, certes brillante plus qu’à son tour, mais qui laisse rêver à ce qu’elle aurait pu révéler si l’auteur ne s’était pas autant éparpillé et avait modéré son inclination à la référence culturelle. Pas forcément l’ouvrage à recommander pour découvrir Vincent Gessler, mais un de plus où son talent transparaît. Et si quelques faiblesses sont à déplorer, elles sont d’autant plus pardonnables qu’elles sont assorties d’une volonté de sortir des sentiers battus et de ne pas chercher à thésauriser sur le succès du roman précédent.
Éditions L’Atalante
342 pages – 17 €
ISBN : 978-2-84172-577-9