« Oniria » de Patrick Senécal
Quatre criminels s’évadent de prison. Dave, le leader, un homme nerveux, persuadé d’avoir été emprisonné à tort et décidé à être innocenté coûte que coûte; Loner, le cerveau, un ex-professeur aussi avisé que laconique et inquiétant ; Jef, le casse-cou, un forcené conjuguant impulsivité et efficacité ; Éric, l’effacé, le paumé, un ingénieur inhibé par son homosexualité. Ils sont rapidement contraints au repli sur la villa de la mystérieuse psychiatre qui soignait Dave en détention. Là, ils vont découvrir Oniria et affronter le pire des cauchemars : celui de psychopathes plus aliénés qu’eux.
Présentée ainsi (et aussi piètrement illustrée, une incongruité que semble cultiver l’éditeur québécois), l’histoire de Patrick Senécal n’a rien de particulièrement enthousiasmante. Opinion confirmée par la lecture des premiers chapitres : le style de l’auteur est épuré jusqu’à l’évanescence, les quatre personnages frisent la caricature, les dialogues sont si directs qu’ils en deviennent clichés – à noter néanmoins les nombreuses expressions du cru qui les émaillent et les font sonner de manière savoureuse aux oreilles non québécoises.
On aurait tort de s’arrêter à une première impression aussi superficielle : en une dizaine de pages et avec une belle économie d’effets, voilà que les personnages acquièrent profondeur et singularité et que l’intrigue foisonnante a irrémédiablement déployé ses mailles autour du lecteur. On se tromperait lourdement, de plus, en pensant que cette lecture se promet d’être une promenade de santé : en matière de faux-semblants et de vraie angoisse, de fausses pistes et d’authentique surprises, Senécal n’a rien d’un novice. Ses cinq romans précédents, dont un a été déjà porté à l’écran et deux autres sont en passe de l’être, lui ont valu d’être décrit par certains critiques comme le Stephen King québécois. C’est vrai, concernant Oniria, qu’il y a un peu de King dans l’haletante montée en puissance de l’horreur jusqu’au bouquet final qui privera de souffle même le plus endurci des lecteurs. Mais s’y décèle également l’imaginaire débridé et grand-guignolesque d’un Serge Brussolo, épicé d’une pointe de fantasme schizophrénique que ne renierait pas Philip K. Dick.
Pour pertinentes qu’elles soient, ces comparaisons ne rendent pas vraiment justice à Patrick Senécal. Cet auteur est parvenu en une douzaine d’années à trouver un ton propre et à se faire une place au sein d’un genre littéraire sur-représenté par les anglo-saxons.
Comment a-t-il accompli ce tour de force ?
En mettant sa plume au service de son histoire – de ses histoires – tout d’abord ; le mécanisme d’Oniria est si parfaitement huilé qu’on n’en remarque à peine les engrenages. En interagissant avec les lecteurs ensuite ; entre petites manipulations, chausses-trappes et indices, les plus vigilants auront tout loisir de tenter d’anticiper les diverses révélations tandis que les plus « spectateurs » auront du mal à lâcher leur livre avant sa conclusion.
Et si, à l’instar de la quatrième de couverture, je ne dévoile pratiquement rien de la trame, c’est que j’ai une excellente raison. Une raison que je vous invite à découvrir à la lecture du fantastique roman – dans tous les sens du terme – de Patrick Senécal. Vous ne serez pas déçus du voyage.
Éditeur Alire
ISBN : 2-922145-88-3
300 pages