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« Terre des autres » de Sylvie Bérard

À vingt-cinq années lumière du système solaire, un vaisseau en quête de nouveaux espaces vitaux découvre par accident Sielxth, une planète de rocs et de déserts inhospitaliers. Malgré son soleil brûlant et ses indigènes peu amènes, les terriens plus ou moins naufragés décident d’y établir une colonie. Pour pallier le climat, il y a la solution de la terraformation ; concernant le problème de la civilisation des dartzls (les lézards humanoïdes autochtones), ils comptent sur leur ruse et leur considérable avance technologique. Mais, aussi indolents et inorganisés soient-ils, les dartzls ont le nombre pour eux. La situation va donc logiquement se retourner contre les humains.

Voilà pour le background. Rien de bien renversant, de prime abord. La façon dont l’histoire est contée est, quant à elle, plus personnelle : « Terre des autres » est un fix-up de nouvelles et novellas couvrant plus d’un siècle de cette confrontation de deux civilisations. Deux civilisations qui se ressemblent trop pour s’accepter et qui tenteront de se jauger à travers le prisme de l’hostilité et de la violence. Cette relation paradoxale, déclinée tout au long des différents textes en un lancinant leitmotiv, fait de ces chroniques une fable sociologique davantage que le « planet opera » auquel on pourrait s’attendre. En clair, nous sommes ici plus proche de l’esprit de La Planète des Singes de Pierre Boulle que des Dune de Franck Herbert. Le projet est ambitieux, même si la race indigène et son environnement manquent singulièrement d’originalité, voire d’étrangeté, et on se laisse rapidement prendre au jeu à la lecture de la « Guerre sans temps », première nouvelle du livre (publiée seule il y a trois ans) et origine vraisemblable du développement ultérieur sous forme de roman. Ce double récit en miroir résultant de la rencontre d’une mercenaire humaine et d’un dartzl moribond mêle cruauté machinale et amitié inavouable, austère sobriété et touchante poésie, et laissera peu de lecteurs indemnes. Est-ce parce que le texte a reçu à l’époque deux prix littéraires que l’auteur en a reproduit peu ou prou la thématique et le ressort dramatique dans les autres nouvelles de ses chroniques ? Quoi qu’il en soit, l’impression de redondance qui, progressivement, se dégage de la suite du roman fait retomber l’émerveillement (pour ne pas dire l’intérêt) comme un soufflé. Malgré les changements de narrateur à chaque nouvelle, les variations des points de vue humains et dartzls, l’insertion de courtes sections sous forme d’articles de loi et de rapports scientifiques – qui se révèlent finalement très anecdotiques – et les différentes « époques » couvertes, j’ai eu la sensation de lire plusieurs fois la même histoire, d’autant que peu d’évènements marquants viennent ponctuer ces chroniques – la chronologie tient à peine sur une page. Ajoutons à cela une absence de développement du côté « explication scientifique » et une pertinence discutable de la psychologie des colons humains qui méprisent ouvertement les autochtones en terraformant leur planète malgré leur large infériorité numérique et corporelle – les dartzls, en plus d’être physiquement puissants, régénèrent leurs membres tranchés et sont presque impossible à tuer – et nous obtenons un roman qui aurait au moins gagné à être plus court pour conserver son côté percutant.
En bref, « Terre des autres » offre quelques bons, voire excellents moments, mais le tout, trop délayé, fini par perdre son attrait.

Éditeur Alire
ISBN : 2-922145-91-3
400 pages

Michaël F.

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