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« Orgueil et préjugés et zombies » de Seth Grahame-Smith et Jane Austen

XIXème siècle, dans une Angleterre envahie par des hordes de zombies. Madame Bennet tient à assurer un bel avenir à ses filles, pourfendeuses de mort-vivants émérites, en leur faisant réaliser de beaux mariages. Quand de riches messieurs s’installent à proximité de leur demeure perdue dans la campagne anglaise, l’occasion est trop belle. L’intelligente Elisabeth (un vrai beau personnage !) succombera-t-elle au charme bien caché de l’orgueilleux monsieur Darcy ? En aura-t-elle seulement le temps entre deux têtes de zombies à trancher au katana ?
Les zombies sont redevenus à la mode depuis quelques années. George Romero, quasiment leur « père » cinématographique », ajoute frénétiquement de nouveaux chapitres à son œuvre, on réalise un remake de son Zombie qui cartonne (L’Armée des Morts), Resident evil n’en finit plus d’être adapté au cinéma, l’espagnol Rec ou le britannique Vingt-huit jours plus tard comportent deux épisodes … Dans le dernier numéro de Mad Movies, une tonne de nouveaux films de zombies sont annoncés. Sur le sujet, il y a même eu une mini-série anglaise, Dead set, ce qui n’avait encore jamais été fait. En littérature, ce mythe du fantastique est, comme toujours, moins traité (quoiqu’il faudrait avoir un meilleur aperçu de la production anglo-saxonne non traduite pour en parler). Notons cependant la série encore inédite de David Wellington, sans doute violente comme ses Vampire Story et qu’on aimerait aussi lire chez Milady, ou les deux fameux bouquins de Max Brooks (World war Z et le Guide de survie en territoire zombie, tous deux chez Calmann-Levy). N’oublions pas aussi le très bon Un horizon de cendres, un Andrevon qui a même, cocorico, précédé ce retour massif. Pour plus d’informations, on se reportera utilement à l’étude parue aux Moutons Électriques.
On le voit à travers ce bref aperçu, les amateurs de zombies (et il y en a !) sont à la fête aujourd’hui, et la mode ne devrait pas s’arrêter de sitôt – malgré la concurrence féroce des vampires post-Twilight. Comme dans toute mode, il y a bien sûr du bon et du moins bon, mais ne doutons pas que des petits joyaux émergeront, apportant leur pierre au fantastique et à l’horreur en les renouvelant.
Force est de reconnaître, hélas, qu’il en va généralement différemment du zombie et du vampire. Depuis des décennies, les auteurs visent souvent l’originalité pour traiter les suceurs de sang. On ne compte plus les différents types de vampires aux caractéristiques variées (on ne peut que conseiller de consulter l’excellent site Mordue de Vampires pour s’en faire une idée : http://pagespro-orange.fr/morduedevampires/). Le zombie, quant à lui, reste à peu près toujours le même, plus ou moins rapide, plus ou moins putréfié, mais sans que la majorité des créateurs tentent d’apporter du sang neuf au genre. Peut-être est-ce un personnage plus limité il est vrai…Ce n’en est pas moins regrettable. La plupart du temps, seul le contexte et les victimes varient d’un film ou d’un livre à l’autre. L’influence de George Romero est totalement écrasante, au point qu’il semble difficile pour les auteurs de s’en distinguer vraiment.
Cette carence d’idées nouvelles ne nuit évidemment pas à l’efficacité de nombre de ces œuvres, comme au plaisir qu’elles apportent, même si on rêve de ce qu’un Joss Whedon ou un Serge Brussolo feraient du mythe…
Roman à succès dont un film sera prochainement tiré, Orgueil et préjugés et zombies ne fait hélas pas exception à la règle. Seth Grahame-Smith se contente d’imaginer la vie des personnages du célèbre roman sentimental de Jane Austen s’ils avaient vécu dans un XIXème siècle en proie à une invasion/épidémie de zombies. Jamais le romancier ne tente d’apporter quoi que ce soit d’inédit au genre, du moins pas en profondeur. Il se satisfait de réaliser un improbable mélange entre le chef d’oeuvre de Austen (étonnamment, avec un évident respect) et le roman de zombies, en laissant franchement au second plan le côté fantastique et horrifique de son histoire. Les zombies deviennent des détails, qu’on extermine en devisant des choses de la vie. Comme chez Jane Austen, tout tourne autour du mariage des filles Bennet. Le fait qu’elles soient ici des chasseuses de monstres formées aux arts martiaux n’y change rien. Bien sûr, il y a ici ou là des scènes gore, quelques batailles violentes, mais le sujet du roman n’est pas là. Orgueil et préjugés et zombies est un pur livre de fan. Grahame-Smith doit adorer le roman original, aimer vaguement l’horreur, mais le cocktail, sans être indigeste, ne fonctionne décidément pas. On est en pleine gratuité, tant l’invasion zombie est traitée par-dessus la jambe et n’influence quasiment jamais le cours du récit. Exception notable : l’idée forte d’une jeune femme mordue et contaminée qui se marie par intérêt, pour avoir une fin de vie plus commode. C’est touchant, et réussi car profondément fantastique.
Au final, Orgueil et préjugés et zombies ne devrait séduire, théoriquement, ni les admirateurs nombreux de Jane Austen, à qui l’œuvre mère suffira, ni les fans de zombies, ici bien maltraités. Nous sommes en présence d’un petit livre paradoxalement ambitieux qui part d’une fausse bonne idée. Un petit livre qui se donne des grands airs par un style constamment suranné et élégant (celui de Austen !), mais qui, sur le fond, et en tant que roman d’horreur, se révèle hélas bien creux… À ce compte-là, on pourrait adapter tout roman classique tombé dans le domaine public en le saupoudrant d’épouvante : faire Germinal avec des vampires ou La Bête humaine avec un tueur psychopathe (O.K, c’est déjà le cas chez Zola pour ce dernier). Mais, pensons-y bien, quel intérêt ? Le mélange des genres est un procédé extrêmement intéressant ; encore faut-il que cela les enrichisse mutuellement, ce qui est loin d’être le cas ici.

Éditions Flammarion
17 €
ISBN : 9782081229495

Patryck Ficini

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