« Roublard » de Terry Pratchett
Hommage et pastiche à la fois. L’auteur signe ici un « à la manière de » Dickens. Jusqu’à la présentation des chapitres, chacun illustré d’une vignette et d’un résumé très succinct de son contenu.
Le héros lui-même, Roublard, a tout d’un personnage de Dickens. Gamin pauvre quasiment laissé à lui-même, réduit à gagner sa vie en fouinant dans les égouts londoniens ou en chapardant, seul métier auquel il ait jamais été formé par Pépé, un vieil homme auquel il succédera comme roi des ravageurs. Encore qu’on n’y fasse pas de vieux os. Avec pour véritable ami son logeur, un vieux juif matois, philosophe qui a tout vu, connaît le monde comme s’il l’avait fait et s’affirme athée juste pour pouvoir dire à Dieu ce qu’il pense de Lui.
Est-ce cette protection ou celle de la Dame, probable avatar de la Vénus Cloacine, que vénèrent les ravageurs, mais lorsque Roublard se trouvera propulsé à l’orée de son avenir, il bénéficiera d’un sérieux coup de pouce. Ainsi prendra-t-il le chemin de la vertu en portant secours à une jeune dame agressée par de sinistres vauriens et, comme chacun sait, dans ce genre d’histoires, les « bons » sont toujours récompensés.
Il serait trop déprimant, en effet, de voir un jeune homme intelligent, sympathique, toujours prêt à secourir la veuve et l’orphelin, être définitivement voué à la misère et à la boue quand un Dickens s’en mêle. Parce qu’il est bien présent dans ce roman. Il n’est pas le seul puisqu’on y rencontre aussi le journaliste Henry Mayhew, un des fondateurs de Punch, parmi les premiers à mettre le doigt sur la grande misère des ouvriers de Londres. Sans compter Disraeli ou la Reine Victoria et nombre d’autres figures de ce siècle brillant et misérable des débuts de la révolution industrielle.
Le tout, mâtiné de fantastique avec tant de légèreté qu’on s’y laisse volontiers prendre tant l’auteur sait insuffler de vie à ces personnages et ces situations si rocambolesques. Ce qui respecte tout à fait la tradition de ce type de roman, et en fait en grande partie le charme, tout en sautant à pieds joints dans une époque pas si lointaine que ça dans le temps mais si étrangement différente qu’elle pourrait sans doute exister sur un disque plat porté par quatre éléphants juchés sur le dos d’une immense tortue cosmique.
Une fois de plus, même si le propos se soucie moins ici de réflexion que de découverte, Pratchett use de son singulier talent pour conduire le lecteur juste un peu plus loin qu’il ne s’y attendait. Un vrai plaisir !
Éditions L’Atalante
406 pages – 21 €
ISBN : 978-2-84172-650-9