« Vers la lumière » d’Andreï Diakov
En 2002, Dmitry Glukhovsky, un jeune journaliste russe, publia sur son site Internet un roman intitulé « Métro 2033 » et se situant dans une Russie post-atomique. Se voulant participatif, le texte attira beaucoup de bêta lecteurs et l’auteur améliora son roman en suivant leurs suggestions. Imprimé en 2005, le roman connaît depuis lors un tel succès qu’il a été traduit dans plus de vingt pays, a été adapté en jeu vidéo, bénéficie d’une suite indirecte « Métro 2034 » qui s’est aussi très bien vendue, et a vu ses droits d’exploitation pour le cinéma être acquis par la MGM.
Pour rester dans la veine participative, Dmitry Glukhovsky encouragea ses lecteurs à y aller de leur plume et faire vivre son univers à leur tour, à la seule condition que l’histoire se concentre uniquement sur leur zone géographique de résidence et se passe en 2033. « Vers la lumière » est l’un de ces romans exploitant le monde de « Métro 2033 ». Il est aussi l’occasion pour son auteur débutant, Andreï Dyakov, de se lancer dans le grand bain de la publication tout en bénéficiant des retombées du succès de son modèle. Alors en quoi « Vers la lumière » se distingue t-il de son aîné ? Outre qu’il se situe à Saint-Pétersbourg là où « Métro 2033 » se déroule dans le métro de Moscou, ce qui ne garantit pas vraiment un dépaysement, il prend le parti de nous présenter la surface au lieu de rester confiné dans les souterrains. Là où son modèle officiait dans l’obscurité et la sensation de claustrophobie, « Vers la lumière » se veut le panoramique d’un monde dévasté et gagne en variété de paysages ce qu’il sacrifie en originalité et en épouvante.
La trame nous propose de suivre la quête initiatique de Gleb, un jeune orphelin adopté par un de ces mercenaires sans peur ni scrupules surnommés stalkers, et qui va être embarqué au sein d’un groupe de commandos à l’occasion d’une mission porteuse d’espoir pour son groupe de survivants.
Si ces prémisses ressemblent fort à celles de « Métro 2033 », on entre ici directement dans le vif du sujet sans passer par l’étape des histoires autour du feu de camp pour poser le décor qui rendaient ce dernier si incroyablement long à démarrer. Davantage porté sur l’action que Dmitry Glukhovsky, Andreï Dyakov envoie les effets spéciaux à peine le livre ouvert. Hélas, c’est ici pour confondre vitesse et précipitation. Empruntant à son corps défendant à la tradition bien SF de la première phrase qui intrigue – souvenez vous de J’avais atteint l’âge de mille kilomètres de Christopher Priest dans « Le monde inverti » ou de Le ciel au-dessus du port était couleur télé calée sur un émetteur hors service de William Gibson dans « Neuromancien » – Dyakov désarçonne ses lecteurs d’emblée avec un L’ombre noire traversa le ciel obscurci par les nuages tout droit sorti de la boîte à idées du groupe Indochine.
Difficile ensuite de se départir d’une certaine méfiance vis à vis du texte. D’autant que la scène que cette phrase introduit est décrite de façon aussi maladroite qu’elle se veut cinématique en étant narrée du point de vue d’un ptérodactyle amoureux des acrobaties aériennes et dont la crédibilité est sujette à caution. Même en faisant abstraction du background extravagant de ce monde post-apocalyptique où les radiations ont donné une nouvelle jeunesse à la vie animale (gigantisme de nombreuses espèces et autres mutations bénéfiques, réapparition des ptérodactyles…) et où, à l’instar des jeux vidéo, les armes et les munitions sont infinies et ne sont pas soumises aux lois de l’encombrement, la gaucherie de l’auteur est manifeste à chaque page. Les descriptions peu claires, les allégories douteuses, les personnages caricaturaux ou inconstants (Gleb, par exemple, oscille sans s’émouvoir du statut de l’adolescent timide et anxieux à celui du guerrier vengeur assoiffé de sang), les dialogues patauds et l’intrigue qui frise le non-sens (pourquoi ce complot anthropophage alors que Saint-Pétersbourg regorge de bestioles a priori comestibles ?), rien n’aide à l’immersion du lecteur dans l’histoire.
Heureusement, la trame nerveuse et les nombreuses scènes d’action ponctuant les pérégrinations des personnages contribuent à maintenir un semblant d’intérêt pour le récit et il arrive à quelques reprises qu’on se laisse emporter par la plume hâtive mais enthousiaste de Dyakov. Les passages angoissants où Gleb se retrouve seul dans le noir où lorsque les personnages sont obligés de procéder à des retraites désespérées sont plutôt réussis.
Une difficulté supplémentaire nous est néanmoins posée à partir du chapitre 8 où l’auteur se met à entamer une part de ses chapitres avec des réflexions philosophiques sur l’espoir, la peur, l’instinct de survie… On se doute que c’est pour rester dans la veine introspective de « Métro 2033 » mais le résultat ici est plus irritant qu’édifiant, les truismes succédant aux platitudes. Bref, difficile d’aller jusqu’au bout de ce roman, malgré sa concision. Nous sommes ici dans une littérature « pulp » anecdotique peu digne des standards qualitatifs de l’Atalante autant sur la forme que sur le fond. Si « Métro 2033 », sans être vraiment époustouflant, apportait un peu de fraîcheur au genre, « Vers la lumière » non seulement se contente de marcher dans les pas de son prédécesseur sans rien apporter d’autre qu’un bestiaire un peu étoffé mais se tord les deux chevilles en matière de lisibilité et de narration. À éviter.
Éditions L’Atalante
Traduction : Denis E. Savine
312 pages – 18 €
ISBN : 978-2-84172-610-3