« Zombie island » de David Wellington
« (Les zombies) recouvraient le sol telle une mer agitée aux vagues moutonneuses. Non. C’était une image infiniment trop agréable. Ils ressemblaient davantage à une masse d’asticots. (…) leur chair incolore et molle, leurs mouvements continuels sans intelligence pouvaient seulement évoquer des larves de mouches grouillant sur la peau sèche et distendue d’un animal mort » (pp. 328-329)
La contagion zombie a changé la face du monde. Les pays occidentaux comme les États-Unis se sont écroulés. L’américain Dekalb quitte la Somalie à la tête de filles soldats musulmanes (alliance originale après le 11 septembre) pour ramener des rétro-viraux qui permettront de soigner la présidente du pays, atteinte du sida.
New-York est aux mains des morts. Dekalb rencontre un zombie intelligent, Gary, un ex médecin qui a tout du brave type et qui va pourtant se transformer en un vrai salopard avide de pouvoir. Il finira même par tuer son allié, un autre cadavre doué de raison, un druide à la tête d’une bande de momies égyptiennes elles-aussi ressuscitées. Le druide désirait exterminer tous les survivants pour que la Mort, seule, triomphe. Gary préfère les capturer pour les élever comme du bétail. Car cette non-vie lui plaît terriblement, et pour rien au monde il ne voudrait la perdre. La confrontation est bientôt inévitable entre Dekalb et l’armée de zombies contrôlée par Gary.
Il y a quelque chose de fascinant à voir la fin du monde. « Une » fin du monde, pourrait-on dire, tant il y en eut dans la littérature et le cinéma. On parle même du genre post apocalyptique (Mad Max et compagnie). Zombie Island, comme son titre français l’indique, est un roman de zombies et un roman post-apocalyptique. L’apocalypse n’est pas née, pour une fois, de l’inévitable guerre nucléaire ou bactériologique, mais bel et bien du réveil inexplicable des morts par millions. Le vivant, l’être humain normal, est devenu une minorité, déjà presque une légende, pour évoquer le célèbre roman de Richard Matheson qui inspira George Romero pour sa Nuit des Morts-vivants, film fondateur du genre entier. Même s’il y eut des précurseurs comme Victor Halperin dès les années Trente (White Zombie, La Révolte des Zombies)…
Aujourd’hui encore, c’est la série de George Romero qui sert de référence quasi universelle à l’exploitation littéraire et cinématographique de cette créature hors normes. Ainsi que, dans une moindre mesure, les films hardgore de Lucio Fulci : Zombie Island commence un peu là où s’achève L’Enfer des Zombies, authentique chef d’œuvre du genre.
Tombé en désuétude, le zombie est revenu à la mode depuis le succès de Vingt-huit jours plus tard, L’Armée des Morts (remake de Zombie) et, dans une moindre mesure, de la trilogie Resident Evil. À tel point que le Maître Romero a ajouté quelques nouveaux chapitres à sa saga, pendant que des dizaines de séries B et Z sont mises en chantier. En littérature, citons juste les bouquins à succès de Max Brooks ou David Moody, auteur d’un génial Rage, toujours chez Milady. Pour en savoir plus, on se reportera utilement au Zombies de Julien Bétan et Raphael Colson (Les Moutons Électriques).
David Wellington, connu en France pour ses très violents Vampire Story, a été découvert aux États-Unis avec sa trilogie zombie. Le premier volume fut d’abord publié sur internet avec le succès que l’on sait. Succès mérité à la lecture de Zombie Island, tant l’ouvrage s’avère enthousiasmant. Si internet permet de découvrir de pareils talents, le plus conservateur des lecteurs ne pourra que s’en féliciter !
Dommage que la couverture française soit proprement ignoble. Une banale photo là où un illustrateur talentueux aurait fait des étincelles. La littérature populaire a longtemps été réputée pour la beauté de ses couvertures. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, comme ce n’est plus le cas pour les affiches de films. Il est plus que temps que les éditeurs, notamment de thrillers et de polars, laissent tomber les photos faciles et se remettent à embaucher des artistes aussi brillants que Michel Gourdon, Nicollet ou Jean-Claude Claeys. Entre parenthèses, offrir un bel objet est le seul moyen encore efficace pour un éditeur classique de concurrencer les e-books promis, qu’on le veuille ou non, à un avenir éclatant. Soyons honnêtes, Milady/Bragelonne s’en tirent souvent avec les honneurs, notamment en fantasy.
Ici, il convient absolument d’oublier l’emballage, car Zombie Island est un bouquin parfait au délire savamment organisé, sombre, gore, sans concession. Le désespoir des survivants à la plus grande catastrophe de tous les temps est palpable à travers une écriture très américaine, aussi sobre qu’efficace (traduction de François Truchaud, connu pour ses travaux sur R.E. Howard et Graham Masterton). Zombie Island est un roman horrible, mais aussi très émouvant.
L’idée d’opposer aux humains deux zombies intelligents est géniale. George Romero, là-encore, a fait de même (Le Jour des Morts-Vivants puis, et surtout, Land of the Dead), sans aller aussi loin cependant.
Gary est un type normal qui, enivré par son immortalité de fait, prend la grosse tête en devenant le roi des morts, à la tête d’une véritable armée contrôlée par ses pouvoirs psychiques. Gary passe du côté obscur avec plus de facilité qu’il l’aurait lui-même cru. Il prend plaisir à jouer les tyrans et à faire le mal, tout en se trouvant des excuses (sa faim insatiable).
Dekalb, ex des Nations Unies à la tête d’un commando d’ados-soldats somaliennes, est un vrai héros. Parce que lui aussi est un monsieur tout le monde (ou presque) qui dépasse ses limites face à l’adversité. Gary représente l’avenir (paradoxalement, la Mort), Dekalb un passé qui résiste, qui se bat pour continuer à exister. Quelle que soit la situation, semble nous dire Wellington, chacun peut choisir, le bien ou le mal, la vie ou la mort. Du moins jusqu’à un certain point, comme on s’en aperçoit avec une fin tragique qui évoque un peu le sort réservé au Arkeley des Vampire Story.
David Wellington, à travers ses zombies, parle avant tout des hommes, de leurs espoirs comme de leur chute.
Avec Zombie Island, nous sommes témoins, dans l’horreur et la souffrance, de la geste désespérée des derniers survivants de l’humanité.
Plutôt crever que (non) vivre !
Éditions Milady
413 pages – 7 €
ISBN 978-2-8112-0347-4