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"Largo Winch III : Le dernier des doges" de Jean Van Hamme

Largo Winch en roman ?
Diable ! doivent s’exclamer certains. Comme si la présence de ce héros bankable ne saturait pas assez les médias. Certes, mais à l’origine de la bande dessinée aux 11 millions d’exemplaires vendus, de la navrante série télévisée et du film à gros budget, il y a un roman. Ou plutôt une série romanesque inachevée beaucoup moins grand public que son héritier graphique (il n’y a qu’à voir les couvertures des éditions originales au Mercure de France pour s’en convaincre). Le fait que les éditions Bragelonne, via son label Milady, rééditent les six tomes de Largo Winch ne signifie pas pour autant la fin de cette incomplétude. Les romans ayant été écrits entre 1977 et 1980, on imagine mal Jean Van Hamme remettre le pied à l’étrier maintenant, même pour l’amour de l’art. Dès lors, on peut s’interroger sur la raison et la pertinence de cette réédition, bien qu’une petite dose d’opportunisme liée à la sortie du long métrage puisse ne pas y être étrangère. Quoiqu’il en soit, cela demeure une bonne occasion à saisir pour les passionnés du monde de Largo Winch qui ne connaissent pas sa version originale. En admettant évidemment qu’ils ne se laissent pas rebuter par les illustrations de couverture à la SAS qui, bien que peu inspirées, ont peu ou prou le mérite de rappeler qu’on a à faire à de la littérature pour adultes. Rassurez-vous cependant : le parallèle avec les romans de Gérard de Villiers n’est que de surface. S’il y a des scènes érotiques pour jalonner le récit, ainsi que le voulait la tradition des romans de gare des années 70-80, elles sont davantage un bonus pour le récit que son prétexte. Elles suprendront néanmoins les habitués de la bande dessinée et de ses passages dénudés sensiblement grand public. De toute manière, la mise en perspective du roman et de son alter ego graphique font apparaître ce dernier comme allégé à tout point de vue : ambiance, violence, personnalité des protagonistes. Si l’on considère de plus que le trait précis et réaliste de Philippe Francq est l’un des principaux atouts de la bande dessinée, on peut dire que l’on passe pratiquement de l’être au paraître.
Ce tome de Largo Winch, intitulé « Le dernier des Doges », correspond aux tomes 9 et 10 « Voir Venise… » et « Et mourir ». L’histoire est la même à quelques détails non négligeables prêt. On y retrouve un Largo Winch sans son compagnon de route, Simon Ben Chaïm (Simon Ovronnaz, dans la BD), qui part à Venise pour sauver son amie Aricia (Charity, dans la BD). L’occasion pour lui de découvrir la romantique citée lacustre, ses Brigades rouges, ses bals masqués, ses intrigues d’alcôves et son doge machiavélique. Et lorsqu’on cumule les casquettes de jeune milliardaire à abattre, de séducteur mondain nonchalant, d’adepte des arts martiaux et de tête brûlée avide de sentations fortes, ce n’est pas pour se contenter d’un tour en gondole.
Aventure et action sont donc au rendez-vous. Les scènes mouvementées sont quasiment cinématographiques dans leur évocation. Le style est concis et efficace, les personnages bien campés et définis en quelques descriptions bien senties. Même le personnage principal parvient à avoir de la profondeur malgré la propension à l’héroïsme hollywoodien que lui impose le cahier des charges. Le format romanesque laisse à Largo Winch toute latitude pour se laisser aller de temps à autre à se poser des questions, prendre des distances avec les évènements, douter. Au point que l’on a parfois l’impression d’avoir à faire à un autre personnage : un personnage plus humain, moins papier glacé.
Et si l’on cesse quelques instants la mise en perspective du roman avec la bande dessinée, si l’on se met dans la position de celui qui découvre LargoWinch avec ce récit ? Outre qu’il serait évidemment préférable de débuter par le premier tome, « Largo Winch : le dernier des doges » est un livre tout à fait honorable. Une histoire accrocheuse et rythmée, dotée d’une véritable mise en scène, une plume concise qui fait mouche avec, en bonus, le talent de Van Hamme pour les plus improbables métaphores, des personnages marquants et réalistes, qu’ils soient principaux ou secondaires, exceptionnels ou triviaux. Bref : un bon moment de lecture et d’évasion.
Finalement, cette réédition n’est pas une mauvaise idée. Mais elle en fera d’autant plus regretter que la saga reste à jamais inachevée.

— Michaël F.

Éditions Milady
346 pages – 6 €
ISBN : 978-2-8112-0061-9

Cibylline

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