"Les Hauts Esprits" de Claude Ecken
Le village de Vallargues, sis entre les replis ensoleillés des Alpes-de-Haute-Provence, n’a jamais eu pour vocation de faire parler de lui. À première vue, rien ne le distingue d’un autre de ces microcosmes campagnards qui parsèment la France dite « profonde » et que caricaturent allègrement les citadins de la France superficielle : il y a son bar « Chez Germain », véritable âme du village, où se font et se défont alliances et inimitiés, où s’échangent les derniers potins de voisinage, où se succèdent coups de gueule et coups à boire et où loge son unique touriste étranger qui aime à s’y ressourcer une fois l’an ; il y a ses commères dont la plus remarquable est la vieille Simonin, à la fois bigote, spirite et dénicheuse d’adultères ; il y a Lionel, le boulanger grippe-sou, et Anselme, le cultivateur irascible, deux frères qui offrent régulièrement le divertissant spectacle de leurs disputes homériques ; il y a son vieil ermite sage et un peu sorcier au sujet duquel la communauté se divise ; il y a son institutrice dévouée et intelligente qu’on ne peut pas faire autrement qu’aimer ; il y a son idiot du village, son maire falot, son médecin ivrogne, son braconnier vantard, ses deux gendarmes débonnaires, bref tout ce qui compose le charme et la banalité d’une bourgade classique. Seulement voilà, Vallargues possède aussi son virage maudit où se succèdent à un rythme irrationnel d’atroces accidents. Accidents mystérieux dont on finira par découvrir qu’ils ne représentent que de la partie émergée de l’iceberg : deux Hauts Esprits ont élu ces modestes lieux théâtre de leur affrontement et l’intervention du couple d’amis d’enfance que sont Pascal Ladieu, l’étudiant de retour dans la région pour ses vacances, et Sandrine Magrade, la belle institutrice, semble bien dérisoire en regard des puissances en jeu et des conséquences de l’issue du conflit pour l’Humanité…
Claude Ecken, en vieux baroudeur de la littérature fantastique et SF, nous livre ici un roman haletant qui, à défaut d’être original, réussit le pari de l’efficacité. L’écriture directe et sans fioriture, les personnages convaincants, la lente montée de l’horreur n’ont rien à envier aux rois du fantastique outre-Atlantique et accrocheront sans coup férir les amateurs du genre. Cela étant, l’histoire n’est pas exempte de faiblesses. Pour paraphraser l’expression consacrée, elle tendrait à souffrir des défauts de ses qualités : on peut ainsi la juger tellement carrée et « professionnelle » qu’elle en perd beaucoup de spontanéité, louer son sens de la progression dans le degré d’épouvante et regretter l’aspect un peu mécanique que cela imprime à sa trame, s’extasier devant les effrayantes mises en scène des décès mais déplorer à la longue leur manque de réalisme. Malgré cette propension à ne pas trouver véritablement son point d’équilibre, ce récit est conté avec assez de talent pour vous faire oublier ses carences et ses excès, voire vous faire oublier que vous n’avez pas le temps de lire. Et puis bon, ce n’est pas tous les jours qu’on a entre les mains un roman qui commence comme un Marcel Pagnol et qui s’achève sur du Stephen King.
— Michaël F.
Éditions Nestiveqnen
ISBN : 2-915653-22-4
363 pages
21 €