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Reflets d’Ombres 6

« T’as voulu lire gothique
et on a lu gothique ! »
Avec la voix du grand Jacques

Dès la couverture façon faire-part de décès, vous êtes prévenus : au-delà de cette limite, vos blagues ne sont plus valables. Et ce n’est pas la gravure de Gustave Doré ? le Paradis Perdu ? qui viendra vous chatouiller les zygomatiques. Reflets d’Ombres se veut noir de noir, avec seulement quelques incartades rouge sang. Cependant, amis de la pantalonnade et du gai calembour, ne passez pas votre chemin : il y a ici de quoi lire même pour vous et ces Reflets vous tendent un bien beau miroir. Mais revenons à la forme.
La mise en page d’une pureté macabre laisse toute leur place aux textes simplement encadrés d’un épais filet noir. Les lignes un peu longues ne facilitent pas la lecture, mais la typo en gros corps rattrape le coup. D’autant que les nouvellistes ont souvent eu la bonté d’aérer leurs textes. Donc l’oeil s’y fait, et c’est tant mieux, car…

Dès l’éditorial, la barre est placée haut. Citant Cyrulnik et convoquant Pierre Autin-Grenier, Michaël Moslonka nous parle de l’écriture comme tuteur de résilience, déboute toute critique puisque les écrits proposés sont jaillissements du coeur, puis conclut sur un vibrant appel à poétiser le réel. C’est dit et bien dit, même si la tonalité de l’éditorial paraît plus dramatique que le reste du magazine. Quoique?

L’obscur se confirme dans une rafale de poèmes que je ne m’aventurerai pas à critiquer (voir plus haut). Me bornant à citer mes préférés (Dissolution d’Alain Leboutet, pour ses images à la fois retenues et sidérantes, Orchidée de DragoRequiem et Communion dans l’oeuf de Marion Lubreac) je vous laisse à votre propre palmarès.
De même, le dossier érudit sur Alphonse Rabbe, écrivain français du XIXème siècle, romantique, syphilitique et drogué à l’opium, vient approfondir le noir dominant. Son ouvrage majeur et posthume (Album d’un pessimiste) lui donne d’emblée droit de cité parmi ces Reflets d’Ombres. De nombreux morceaux choisis précisent bien la mélancolie de celui qui fut qualifié par André Breton de « surréaliste dans la mort ».

Quelques non dépressifs nous ont-ils suivi jusqu’ici ? Ils ont eu raison de persévérer, puisque voici les nouvelles. Par le prisme de leurs auteurs le noir s’y diffracte et trouve bien des couleurs. Commençons par…

Les Yeux Verts, par Véronique Cabon
Cela commence par une description millimétrée des atermoiements d?un client obsédé par une pute (le mot y est) pour s’achever dans une folle atrocité. Malgré quelques hésitations et poncifs dans l’approche du milieu péripatéticien (je cite « Elles savaient que cet argent, elles en étaient dépendantes et qu’elles vivaient sous le joug de leur proxénète. ») on suit l’affaire jusqu’à se faire glacer d’horreur. Efficace, bien mené, et risquant parfois un second degré propre à déclencher quelques sourires. Merci Véronique !

Rencontre, par Exquise Marquise
Qui se plaindra d’une recette ancienne si elle est exécutée par une cuisinière de talent ? Certes, cette rencontre éponyme n’étonne guère, la surprise n’y est pas – et ne semble d’ailleurs pas souhaitée par l’auteur. Mais la plume coule brillamment, quelques mots rares sont utilisés à bon escient pour donner ce ton d’élégance surannée (vous chercherez « flavescent »). Un bal évanescent n’est pas sans rappeler une scène grandiose du film « Shinning ». Rien de bouleversant, mais que du très plaisant.

À jamais, par Kiruna
Une brève sonate de douleurs et de regrets. On ne saura pas ce que la victime expie sous les coups, mais ses épanchements vibrent de sincérité poétique. Les choses de la vie vues depuis la lisière d’une mort brutale et transmises par une plume empathique : on n’envie pas, mais on partage.

Dangereux cinéphile, par Erwann Le Goffic
Comment un mauvais coucheur velléitaire va-t-il voir son film gâché par un couple de baffreurs de pop corn ? Vous le saurez si vous tenez jusqu?au bout. L’idée est bonne pourtant : nous faire sentir la graduelle montée de colère dans une situation que chacun a connue au moins une fois. Mais trop de vulgarité dans les mots et les tournures finit par lasser. Même si cela fait vrai, on ne passerait pas deux minute dans la tête de ce pauvre type – et encore moins neuf pages. La chute attendue est bien violente, mais pas libératrice pour autant. Dommage, c’est là qu’on aurait pu rire.

Monsieur Froid, par Sylvain Blanchot
Un conte d’hiver, à mi-chemin entre le fantastique enfantin et l’horreur pure. Le style transparent n’a pas besoin de jouer d?effets : l’histoire en ménage suffisamment. On en retiendra qu’il ne faut pas toujours suivre les bonshommes de neige promeneurs, ni trop attendre le retour des enfants disparus. Je regrette juste qu’un dernier dialogue vienne un peu trop lourdement tenter de rationaliser l’irrationnel.

En résumé donc, chacun aura compris avec ces Reflets d’Ombres que les malheurs des uns peuvent faire les bonnes lectures des autres. On s’y demande parfois si vivre heureux aujourd’hui n’est pas le seul fait de crétins qui n’ont rien vu ni rien compris du monde. Et puis on se rappelle qu’on ne peut quand même pas pleurer tous les jours.

— Don Lo

Reflets d’Ombre
51 page
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Cibylline

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