Mira Furlan (1955-2021)
Fan de Babylon5 depuis la première heure de sa diffusion en France sur Canal+, au début des années 1990, j’ai visionné cette série de science-fiction américaine facilement six fois depuis. Son scénariste et concepteur, Joe Michael Straczynski (JMS pour les fans), est aujourd’hui reconnu pour son travail sur la série Sense8, les comics Rising Stars, Midnight Nation et son travail sur le premier film Thor. Babylon5 est sa création au point qu’il a écrit plus des trois quarts des épisodes à lui seul. Il connaît très bien les thèmes phares du genre et les utilise avec intelligence tout en apportant une vision puissante et originale.
JMS prend en compte à la fois la dimension épique d’une intrigue prévue sur cinq ans, les tensions politiques et sociales, ainsi que leurs répercussions bien réelles sur le quotidien des habitants de la station éponyme. Ce port franc où toutes les cultures de la galaxie se rencontrent va devenir un point focal de luttes d’influence à échelle galactique. Les personnages font face à des dilemmes réalistes et doivent affronter leurs ombres personnelles les plus noires.
Depuis sa création, la série est une référence dans le milieu des séries de science-fiction américaines. Car Babylon5 est aussi et surtout une famille de personnages forts et attachants. Et cette famille, au grand dam des fans, a perdu plusieurs de ses membres depuis la fin de sa diffusion en 1998.
Apprendre le décès de Mira Furlan en janvier 2021, ce fut un double constat : Delenn devenait éternelle et je n’aurai plus la chance de rencontrer Mira pour lui dire tout ce que son interprétation de ce personnage m’avait apporté à un moment charnière de ma vie. C’est un double hommage que je me propose de rendre ici.
Mira Furlan est depuis peu aux USA quand son agent lui propose le rôle de Delenn, qu’elle accepte. Le tournage de Babylon5 n’a véritablement commencé qu’en 1993. Elle a su apporter à son personnage finesse et détermination, fragilité et compassion, leadership et humanité. Son accent yougoslave a contribué à donner encore plus de crédibilité à son côté étranger, différent et pourtant si semblable à nous autres, humains.
Elle a d’ailleurs très bien décrit son personnage lors d’une entrevue en 1998 :
« Ambassador Delenn is an extraordinary character. She combines so many different traits…She’s tough, but vulnerable…She’s strong, but feminine…She’s a pacifist, but can be militaristic…She has depth and spirituality, but can be funny and light at times…So yes, I think she’s a great role model – not only for women – but for everyone. » – July 25, 1998, live on beep
« L’ambassadrice Delenn est un personnage extraordinaire Elle combine tellement de traits différents… Elle est dure, mais vulnérable.. Elle est forte, mais féminine.. C’est une pacifiste, mais elle peut être militariste.. elle a de la profondeur, une spiritualité, mais elle peut être légère et drôle parfois… Donc oui, je pense que c’est une personne qui peut être un modèle – pas seulement pour les femmes – mais pour tout le monde. »
Joe Straczynski avait progressivement incorporé des éléments du passé de Mira Furlan dans son script, au point qu’elle est venue le voir un jour pour lui demander combien de temps il avait passé en Yougoslavie… Le sort de Minbar dans la série, la belle cité en flammes… tant d’échos avec la réalité historique.
Deux sensibilités s’étaient trouvées pour donner vie à un personnage à la fois plus grand que nature et profondément accessible, un modèle, à travers ses failles, ses questionnements et ses choix.
Grey Council – I am grey, I stand between the candle and the star, between the darkness and the light
Pour mettre un peu de contexte, je suis fan de la vision humaniste à la Star Trek que je découvre au milieu des années 1980 en France. À cette époque et dans les années qui ont suivi, j’ai suivi beaucoup de séries et j’étais en panne de personnages féminins inspirants. Même avec l’arrivée de Star Trek The Next Generation, j’avais des difficultés à me trouver des affinités avec Beverly Crusher ou Deanna Troi. Kathryn Janeway est arrivée par la suite, mais il manquait encore quelque chose.
Et Babylon5 est arrivé. Rien d’une utopie Trek, mais tout aussi humaniste. En Delenn, j’ai trouvé enfin ce que je cherchais depuis longtemps : une femme forte, qui pouvait aussi assumer une certaine vulnérabilité. Qui s’interrogeait sur le sens de la vie, portée par une vision spirituelle et un amour assumé de l’altérité.
« Then I will tell you a great secret, Captain. Perhaps the greatest of all time. The molecules of your body are the same molecules that make up this station, and the nebula outside, that burn inside the stars themselves. We are ‘star stuff.’ We are the universe, made manifest – trying to figure itself out. »
Delenn est une pacifiste qui sait défendre ce qui compte pour elle quand c’est nécessaire. Une leader capable de reconnaître ses erreurs et de porter le poids de la responsabilité qui en découle.
Capable d’aimer, de pardonner, d’avoir de la compassion, de défendre des idées ou la station elle-même, avec une armada si nécessaire… l’article de Ryan Britt dans syfywire résume très bien cette facette plus « badass » du personnage.
Je laisse Delenn prendre la parole pour un dernier hommage aux talents de Mira Furlan qui a su si bien porter à l’écran les mots de JMS. Delenn est éternelle, paix à Mira.
The candle
« Every life is precious and unique. When it goes out, it’s gone forever. There will never be another quite like it »
Mira Furlan 1955-2021
Mira Furlan est décédée ce 20 janvier 2021 des suites d’une infection au virus du Nil occidental. Elle avait 65 ans.
Mira Furlan est née en ex-Yougoslavie. Membre du théâtre National Croate, elle a joué dans des adaptations du Misanthrope de Molière, de Sophocles (Antigone), Baal de Brecht, plus de 40 films et téléfilms dans son pays d’origine et ailleurs, notamment avec Emir Kusturica. Actrice primée, quel que soit le lieu où ses personnages ont pris vie, elle a dû se faire un nom aux États-Unis et attendre 10 ans avant de pouvoir retourner sur les planches en Croatie dans les années 2010.
Sa carrière internationale et son émigration aux États-Unis ont été tout sauf un choix. Mise à la porte du Théâtre National Croate, objet de campagnes de dénigrement médiatique vicieuses, menacée de mort, cette Croate d’ascendance Juive et Serbe mariée au réalisateur Serbe Goran Gajić a vu sa vie basculer au moment de l’éclatement de la Yougoslavie. Parce qu’elle n’a pas choisi de camp et voulait la paix dans un pays en pleine guerre civile. Parce qu’elle était une femme dans un pays très misogyne. Sans perspective professionnelle, une carrière brisée, elle doit recommencer à zéro quand ils arrivent tous deux à New York en 1991.
C’est cette faculté à tourner la page après avoir vécu un exil douloureux qui me donne encore plus de respect pour la femme qu’elle était. Un séminaire doublé d’un hommage en ligne par l’université des études slaves basée à Londres le 3 février 2021 a souligné sa carrière. Ses rôles lui ont permis de dénoncer autant la misogynie rampante dans la société croate que la peur de l’autre qui avait mené à la guerre civile et reste vive aujourd’hui. Mira est un modèle avoué pour de jeunes artistes émergentes comme Sara Renar, même si elle ne souhaitait pas être perçue comme un symbole. Elle a pourtant donné de l’espoir et du courage à bien des gens et est devenue un pont entre les cultures grâce à son art.
La femme derrière l’actrice voulait bâtir des ponts plutôt que des murs, croyait en l’humain comme en témoignent ses quelques écrits très inspirants sur son site. Ils démontrent l’étendue de sa réflexion sur le monde et sur les États-Unis, son pays d’adoption avant les élections.
En 2020, alors que la pandémie change la vie de bien des gens, elle écrit :
At this time of unprecedented uncertainty I wish you all courage and a sense of humor. I hope we will get out of this stronger, more united, more humane. I hope we will understand that we need to cooperate instead of competing, that we have to appreciate our differences instead of living in fear of “the other”, that we have to respect the natural world and our fellow living beings if we want to survive on this planet. I hope that the eternal cycle of greed, hatred, lies, corruption and the indifference to the suffering of others will end and that we will appear on the other side of this catastrophe wiser and better. In fact, I do not believe we have a choice but to radically change – as individuals and as a society.
Mira
(En ces temps d’incertitude sans précédent, je vous souhaite à tous du courage et le sens de l’humour. J’espère que nous sortirons de toute ceci plus forts, plus unis, plus humains. J’espère que nous comprendrons que nous avons besoin de coopérer plutôt que d’être en compétition et que nous devons apprécier nos différences au lieu de vivre dans la peur de « l’autre », que nous devons respecter la nature et les autres êtres vivants si nous voulons survivre sur cette planète. J’espère que le cycle éternel de la cupidité, de la haine, de la corruption et de l’indifférence face à la souffrance des autres prendra fin et que nous émergerons de l’autre côté de cette catastrophe plus sages et meilleurs. En fait, je ne crois pas qu’il y ait d’autre choix que de changer radicalement, en tant qu’individus autant que comme société. Mira – traduction libre)
Mira Furlan, c’était aussi un sourire et un rire.. Les tranches de vie plus légères se trouvent aussi sur son site, une des dernières portait sur Leia, une chatte de 12 ans.
Lors d’une dernière entrevue par les Trekkers d’Axanar en 2020, Mira parle de son parcours d’actrice, de sa vie entre les États-Unis et la Croatie où elle continuait de tourner et de jouer régulièrement. Elle souligne que les gens aux USA ignorent trop souvent les séries et le cinéma qui se tournent dans le reste du monde. Elle avait commencé à écrire et produire un document sur son histoire personnelle qui sera publié de façon posthume. Sa vision de la mort était déjà très clairement exprimée dans un post de 2012.
Revenue à Los Angeles au début de la pandémie, c’est là qu’elle s’est éteinte le 20 janvier 2021.
Joe Straczynski quant à lui aura posté cet hommage extrait de la saison 5 de Babylon5 : pas d’au-revoir, le mot n’existe pas en Minbari car on se retrouve toujours quelque part.
Article paru sur mon blog en février 2021, mis à jour le 8 août 2021